Grégoire Eloy
Troisième nature
Editions Textuel
49,90 €
Où commander ce livre
Ce bel ouvrage réunit plusieurs séries de photographies noir et blanc de Grégoire Eloy, réalisées ces dix dernières années sur différents sites fragiles, où les bouleversements et les aléas climatiques sont marquants : les Alpes italiennes, l’île de Guernesey, une région du Caucase géorgien, la forêt du Perche, les glaciers des Pyrénées, le littoral breton… L’artiste redécouvre le monde sauvage par ses sens et son corps : des expériences l’incitant à se reconnecter à la nature et à s’en imprégner. En accompagnant des équipes de scientifiques, il observe les matières au sein de différents paysages. « Je restitue un voyage de recherches visuelles en lien avec ce que j’ai appris sur le terrain » m’a-t-il confié. Ses photographies révèlent ses immersions dans différents milieux. Sa pratique relève de l’expérimentation, d’une quête, d’un désir d’aller chercher au-delà du visible, « dans l’épaisseur du paysage ». D’où notamment la réalisation de photogrammes réalisés dans la nuit et la neige : une manière de jouer avec l’empreinte lumineuse de façon sobre et avec une grande économie de moyens.
Ses images ainsi présentées dans un rythme avec des surfaces blanches composent un espace de rêverie et de contemplation à partir duquel tenter de recréer des connections visuelles. Au fil des pages, nous explorons peu à peu des paysages, nous nous rapprochons des matières naturelles et nous nous laissons porter par certaines formes étranges qu’il a capté par ses techniques expérimentales. Pour préserver le mystère de ses photographies et l’imagination chez le lecteur, les notices dans lesquelles l’artiste nous livre le contexte de réalisation de celles-ci nous sont données à la fin du livre.
Dans son très beau texte, Michel Poivert compare cette œuvre photographique à un travail à la frontière du documentaire et du récit d’anticipation. L’historien de la photographie et commissaire d’exposition français inscrit également ce travail artistique « entre le cinéma d’Artavazd Pelechien et les images de Jean Painlevé ». Son œuvre relèverait d’une « fable photographique » écrit-il.
Grégoire Eloy rassemble ses séries de photographies sous le concept de « troisième nature ». Dans son propre texte, il rappelle que la première nature est celle sauvage, instable, vierge de toute influence humaine, la seconde serait façonnée par l’être humain pour sa substance et la troisième résulterait des déséquilibres engendrés par l’action humaine et le changement climatique. La pensée d’Anna L. Tsing, chercheuse en anthropologie qui explique que cette nature se développe sur les ruines du capitalisme, les friches, les parcelles de forêts abandonnées, les zones irradiées, a nourri sa réflexion. Suivant cette approche d’une nature hors de contrôle, le photographe se forge un art de l’attention et s’attache à redécouvrir avec un œil nouveau les environnements fragilisés.
Ce livre d’une grande élégance invite à l’émerveillement, au réenchantement et suscite en nous le désir de comprendre les particularités de certains milieux naturels dont les changements sont en cours d’accélération. Le photographe nous invite à renforcer notre qualité de regard pour se relier au vivant et ouvrir de nouveaux espaces d’imagination.
L’exposition « Troisième nature » est visible aux champs libres à Rennes jusqu’au 21 septembre 2025. Celle-ci est conçue comme un paysage à arpenter et donne à voir de multiples couches de paysages.
Pauline Lisowski
