
J. voit double
Alexandre Gérard
Éditions NAIMA
ISBN 978-2-37440-245-1
19 euros
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Alexandre Gérard a écrit la majorité de ce livre « J. voit double » publié par les éditions Naima en hommage à son grand-oncle Jean Dupuy juste après la mort de celui-ci en 2021. Cet essai nous donne accès à cette étrange et complexe aventure artistique qui croise divers courants de l’art contemporain international depuis la deuxième moitié du 20e siècle.
Jean Dupuy né en 1925, mène des études à l’École des beaux-arts de Paris, section architecture. Il réalise d’abord des peintures figuratives, jusqu’à la fin des années 1940. Puis en se liant d’amitié avec Jean Degottex, il rejoint le groupe des peintres de l’Abstraction lyrique. En 1967, il détruit une grande partie de ses toiles avant de quitter Paris pour les États-Unis.
Grâce à une œuvre singulière Cône pyramide une sculpture de poussière il remporte le concours lancé par Experiments in Art and Technology, dirigé par Robert Rauschenberg et Billy Klüver. Cela lui ouvre les portes de la galerie IIleana Sonnabend et de plusieurs institutions muséales américaines. Il s’engage dans une pratique technologique de l’art, pour mieux révéler à l’observateur des éléments d’ordinaire invisibles.

De 1974 à 1978 il organise une série de performances filmées constituant une série de vidéos intitulées : Chant a cappella avec Gigliotti ; Artists Propaganda I et II et Artists Shorts avec Defess ; La pub et Artists Propaganda III, dans les studios du Centre Pompidou.À partir des années 1980 il participe à de grandes expositions Fluxus, notamment au Musée de Wiesbaden en 1982 puis en 2002.
Jean Dupuy en 1984 quitte New York, et s’installe à Pierrefeu dans l’arrière-pays niçois, où il écrit son premier livre d’anagrammes : Ypudu, Anagrammiste (édité par C. Xatrec, 1987). Il réalise également de grandes peintures anagrammatiques sur toiles. C’est là que son petit neveu reçoit le premier choc avec la création de son grand-oncle maternel à 16 ans lors d’un séjour de 15 jours à Pierrefeu.

Il lit son dernier livre publié « Quoi ? quoi ! » qui est censé lui donner accès à cette pratique du dessin graffité. Dans l’atelier ils récitent ensemble à haute voix des extraits de ses autres publications à ce sujet. Il comprend que « l’anagramme comme structure n’est qu’un contenant à remplir ». Et. Il en donne la composition : « Le texte se faisait peinture, à laquelle Jean intégrait la palette, en haut, qui avait coloré le bas, révélant ainsi le processus de création. » Il produit ainsi des « accidents créateurs »par des pas de côté, des glissements, des déviations. Dans cette grande liberté qu’il se donne chaque anagramme correspond à un type de statut littéraire : récit autobiographique, mode d’emploi, description d’œuvre, billet d’humeur, réflexion politique, carnet de voyage écrit érotique ou philosophique…
Pour désigner sa pratique Jean Dupuy a eu recours au terme Lazy art, la première pièce relevant selon lui de cette catégorie est la sculpture de poussière Cone Pyramid utilisant le cœur du spectateur comme moteur. Le mouvement en est sa constante, celui des peintures gestuelles, des pièces technologiques, des performances comme des lettres dédoublées. Plus tous les déplacements géographiques de l’atelier.
En 1969 les conservateurs du Los Angeles County Museum of Art lancent un projet d’art technologique où chaque artiste collabore avec une industrie. Jean Dupuy collabora avec la Cummins Engine Company pour rendre visible dans un moteur en marche les quatre éléments, feu, terre, eau et air. En prenant les initiales anglaises il intitula son projet « Fewafuel ». La société retira la machine accusée de dénoncer la pollution, contrairement au projet de l’artiste.

Alexandre Gérard fait retour aussi sur des peintures de Jean Dupuy qu’il évoque comme trompe-l’œil, à partir d’une matrice A4 il opérait différents agrandissements jusqu’à une peinture de 2 m par 1,5 m. Il montre aussi ces œuvres comme antérieures à l’usage de grossissement avec des lentilles grossissantes, des télescopes, ou des microscopes. Ainsi une œuvre comme To Look at The Invisible (1973) composée d’une boîte en plexiglass traversée de deux câbles qui sont rendus visibles par deux lentilles grossissantes, mais le passage du fluide électrique reste non vu. Il enchaîne son étude sur les machines pataphysiques de son oncle en commençant par un retour sur Cone Pyramid. Le regardeur assiste à la création dans un rayon de lumière d’une sculpture de poussière dont l’agent stimulateur est son propre rythme cardiaque enregistré par un stéthoscope électronique.

Dans ses liens aux spectateurs l’essayiste hésite à utiliser le terme d’art interactif que Dupuy n’employait pas, en conséquence du lazy art on peut penser qu’il souhaite laisser advenir des éléments qu’ils ne maitrisent pas dans une interaction élémentaire.
Pour « boucler la boucle » le livre se termine sur l’analyse de l’œuvre qui figure sur la couverture, intitulée Think&Suggest. Ce dessin est créé avec un bout de crayon coupé en deux dans la longueur. Le graphite qui a subsisté dans l’une des moitiés lui a permis de tracer le cercle. En jouant avec l’inversion du titre et l’inscription des deux mots sur l’une des moitiés il en renforce le mouvement circulaire.
