Edmond Couchot analyse les arts vivants artificiels

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Automates, robots et humains virtuels dans les arts vivants
Edmond Couchot
Presses Universitaires de Vincennes 
ISBN 978-2-37924-262-5
22 euros 
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Dans son dernier ouvrage : « Automates, robots et humains virtuels dans les arts vivants », paru en 2022 aux Presses Universitaires de Vincennes, Edmond Couchot comme artiste, comme théoricien et comme enseignant qui s’est intéressé aux relations entre les arts, les sciences, les technologies et l’humain s’attache à ces liens dynamiques dans les arts du spectacle et de la représentation. L’auteur analyse comment des artistes ont adopté ces êtres artificiels, que sont les robots, les avatars et les humains virtuels, pour renouveler, la tradition en créant des « arts vivants artificiels ».

Edmond Couchot (1932-2020) cofondateur du département des Arts et Technologies de l’Image (ATI) de Paris 8, pionnier de l’art numérique, artiste, théoricien et chercheur il a participé aux recherches du laboratoire Images numériques et Réalité Virtuelle. Spécialiste des relations entre l’art et la technologie, il est connu pour avoir dès le milieu des années 1960 créé des dispositifs cybernétiques interactifs. Parmi ses nombreux ouvrages on peut citer en 2003 : « L’Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art ? » coécrit avec Norbert Hillaire où ils étudient de nouvelles œuvres résultant de l’interactivité, l’hybridation et la virtualité.

Il commence par étudier la tradition des automates, du moyen âge à la fin du XIXe siècle et leur action dans la danse, le théâtre, l’opéra, les marionnettes et le cirque. Dans ces formes traditionnelles les corps et leur singularité gestuelle posturales et émotionnelles qui y jouent un rôle essentiel en tant que matériau plastique polymorphe. Parmi les nouvelles formes, Couchot cite les biomates, dont l’origine était des masques articulés ou des têtes d’animaux sacrés intégrés à des corps humains. Il évoque aussi les noomates conçus pour imiter les mouvements de la pensée ou du langage comme l’horloge et l’orgue hydrauliques conçus très tôt dans l’histoire de l’humanité. Parmi les créations de la Renaissance on doit rappeler le lion automate de Vinci et ses oiseaux mécaniques. Puis avec le développement de l’horlogerie les automates prirent forme et taille humaine dès le XVIIe siècle, avant que ne soient réalisés des automates écrivains. 

Toutes ces créations manifestent chez l’homme deux types de pulsion l’une mécanique qui prolonge l’humain hors de lui-même à travers ses outils et la pulsion mimétique par laquelle il cherche à se reproduire. Elles contribuent ainsi « à la redéfinition de l’identité mouvante de l’espèce humaine dans le soubassement émotionnel de sa culture. » Dans le prolongement de cette orientation au XIXe siècle furent imaginés des automates de divertissement : musiciens, chanteurs, danseurs, acrobates, écrivains clowns et animaux. Dès les années 1920 apparurent dans le cinéma les premiers robots.Puis dans les années 1950 Isaac Asimov en théorisa la présence littéraire. Plus récemment furent inventés les avatars dont on parle comme double, alter ego ou clone. Dans les jeux vidéo, ils se définissent comme la représentation virtuelle en deux ou trois dimensions d’une personne à laquelle elle est soumise. 

Poursuivant la complexification de ces créatures furent mises en œuvre des acteurs virtuels, ainsi Nadia et Daniel Thalman enseignants-chercheurs de l’Université de Montréal réalisèrent la fameuse « Virtual Marilyn » visible dans le court métrage « Rendez-vous à Montréal ». La chercheuse Catherine Pelachaud a mis au point « Greta », une actrice de synthèse en trois dimensions dotée d’une bibliothèque de gestes, d’attitudes et d’expressions.

Précisant l’analyse des différents modes d’intégration l’auteur évoque les formes récentes et variées d’immersion technologique et leur effet de présence où le visiteur « est appelé à déstructurer la hiérarchie organique de son corps et ses activités pragmatiques vers des activités expressives ou ludiques ». C’est la danse qui accueille le plus d’initiatives mixtes de cet ordre. Ainsi en 1956 Nicolas Schöffer crée une sculpture métallique qu’il nomme « CYSP 1 » (2 premières lettres de cybernétique et de spatiodynamique) équipée de cellules photoélectriques sensibles à la couleur et d’un micro réagissant aux sons ambiants. Elle fut mise en scène au Théâtre Sarah Bernhardt en 1956 sur une musique de Pierre Henry, puis Maurice Béjart l’utilisa dans un ballet sur le toit de la Cité Radieuse de Le Corbusier. Merce Cunningham créa son logiciel Life Forms en s’inspirant du film « Computer Generated Ballet » de Michael Noll, de nombreux chorégraphes l’utilisèrent à sa suite, après « Biped » en 1999 , musique de Gavin Bryars.

Les petits robots Nao conçus par la société française Aldebaran Robotics en 2007 ont été mis en scène par plusieurs chorégraphes dont Blanca Li puis par Eric Minh Cuong Castaing pour « School of Moon » avec deux danseurs et sept robots. Une autre utilisation fut mise en place par Emmanuelle Grangier dans « Link human/robot ». Une vingtaine de robots nao équipés d’une IA appelée Watson ont collaboré à une version numérique d’un « Bolero » de Ravel. Dans une autre configuration c’est encore le danseur hip hop Tayeb Benamara qui a performé avec le robot HRP-2 du laboratoire LAAS, différent parce presque de taille humaine et doté d’un gyroscope et d’un accéléromètre pour réagir au danseur. En 2017 Gille Jobin a réalisé le spectacle de danse en réalité virtuelle immersive « VR_I ». Les spectateurs équipés de casque de réalité virtuelle subissent des effets d’échelle dans la proximité aux danseurs très déstabilisants.

Près de conclure l’auteur note le passage des arts vivants aux arts du vivant. L’œuvre de Joseph Nechvatal « Virus Attack Portrait » de 2005 en est une illustration. Après nous avoir incité à tirer notre portrait sur un écran d’ordinateur, cette image virtuelle est attaquée par une colonie de virus jusqu’àl’effacer. Laurent MIgnonneau et Christa Sommerer ont utilisé des milliers de petites mouches noires qui forment le portrait, visage ou corps, du spectateur qui reste immobile mais se défait au moindre mouvement. L’artiste russe Dimitry Morozov crée un appareil sonore à utiliser pour une performance où une sorte d’orgue portatif transforme le souffle en musique jusqu’à l’épuisement de ce « Last Breath ». Dans un rapport étendu au corps la canadienne Char Davies produisait « Osmose » , environnement virtuel immersif et interactif. Avec des capteurs et un casque de réalité virtuelle le visiteur pouvait flotter en traversant une douzaine d’espace-mondes. Miguel Chevalier a initié quant à lui plusieurs installations de fleurs virtuelles dont « Fractal Flowers » en 2014.   

La fréquentation d’êtres artificiels autonomes se manifeste par l’effet de présence et d’empathie qu’ils causent chez les spectateurs et les émotions qu’ils déclenchent. Cet essai analyse comment les artistes se sont saisis de ces artefacts pour en faire des créations en résonance avec l’esthétique notre temps. Les arts vivants artificiels, nous prépareraient à vivre désormais en bonne intelligence avec ces êtres artificiels qui nous renvoient notre image et nous obligent à redéfinir notre humanité.