
« 2022, crise de la quarantaine, remise en question de partout. Bilans de vie stériles à tout va, montagnes russes émotionnelles. La série Zones Grises est un voyage introspectif autour de mon intimité et des deuils qui laissent exsangue. Toutes ces images glanées ces dernières années, planquée derrière mon objectif, refont surface. Elles me racontent des miettes de moi, fragments dispersés. Instants volés, fugaces, où le temps se fige. Ces rencontres qui s’entrecroisent puis s’éteignent. Grises, comme mes peurs enfouies, mes démons tenaces camouflés, mes blessures mal cicatrisées. Comme ces fantômes ancrés, une bête enfermée, un cauchemar d’enfant, l’errance des êtres, vivants ou mourants, les solitudes partagées. Ces zones grises creusent leurs sillons entre mon passé et ce qui m’attend, dans les chairs fatiguées mais pourtant toujours debout, jusqu’à l’écroulement. » : c’est en ces termes émouvants et très personnels que Vanda Spengler présente son fanzine, vendu au prix modique de 6 €.
Le parti pris du fanzine est particulièrement intéressant car il s’inscrit dans la lignée des contre-cultures nées dans les années 1960, comme je l’ai d’ailleurs souligné ici dans d’autres articles (cf. notamment les éditions Dumas Salchli). Il n’est pas étonnant qu’une artiste aussi avant-gardiste que Vanda Spengler ait fait ce choix.
Depuis une vingtaine d’années, la petite fille de Régine Desforges et fille de l’éditeur de littérature érotique et écrivain Franck Spengler, appréhende avec son appareil-photo les corps souvent nus de manière radicalement frontale, une crudité extrême.
Zones grises propose une errance visuelle plus intimiste et autobiographique même si les corps dénudés (qu’elle expose régulièrement avec le collectif de femmes Action Hybride) sont parfois présents. Les chairs sont « fatiguées » mais tiennent « debout », opposent à l’usure du temps une irréductible dignité. Urgence de témoigner de ses doutes existentiels, d’affronter sa condition humaine et celle des autres sans apprêt.
La « crise de la quarantaine » de Vanda Spengler nous entraine dans des zones troubles et troublantes qui ne sont pas sans évoquer celles du photographe Antoine d’Agata, une influence majeure.
Ainsi un chien errant dans la nuit, probablement éclairé par les phares d’une voiture, montre les crocs et renvoie à une animalité primaire, tout comme ce bouc brutalement figé au flash à côté d’une enfant.
L’enfance et la thématique du songe sont aussi évoquées avec cette photographie particulièrement délicate d’un garçon endormi.
Tous ces fragments éclatés sont constitutifs du moi transfiguré de la jeune photographe franco-suisse, et semblent résulter d’un rêve éveillé. Ils relèvent indéniablement de la catharsis.



