
Festival du Mois européen de la photo au Luxembourg (emoplux), 10e édition
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La 10e édition de ce Mois européen de la photographie au Luxembourg assume un questionnement radical : Repenser la photographie avec un parcours balisé en ouverture du catalogue de très grand format par Pierre Stiwer l’un des trois commissaires généraux avec Paul di Felice et Krystyna Dul « du post-modernisme à l’IA ».
Une sélection de jeunes artistes luxembourgeois fait l’objet d’une rencontre lecture de portfolios avec des professionnels européens et d’une exposition dans l’ancienne chapelle de l’Abbaye de Neumeister. On est amusé par les portraits anthropologiques des pigeons de Luisa Maria Stagno (à retrouver dans une édition d’Arnaud Bizalion). Les installations 3D de Letizia Romanini scénographient des images de nature sur des matériaux divers ou cartographient des espaces fragiles aux frontières du pays. Les images de Liz Lambert entrent en dialogue intime sur des gestes suspendus. Julia Vogelweith s’attache à des modèles en difficultés sociales qu’elle approche avec sensibilité et respect.
La révélation de cette sélection est sans conteste Giulia Thinnes pour sa série …c’est plus facile pour moi comme ça… illustrant les étapes de sa transition de genre, bouleversante avec des photos intimes d’une réelle puissance humaine où un poétique documentaire nous interroge sur la violence inhérente à ce choix de vie.
L’IA est souvent mise au service d’un destin floral ou arboricole dont l’un des premiers explorateurs européens fus Joan Fontcuberta, qui assure la couverture avec une image extraite de De Rerum Natura. Dans une dimension post-moderne, Claudie Larcher réinterprète numériquement des natures mortes de la peintre néerlandaise Rachel Ruysch (1664-1750). Cette préoccupation peut devenir écologique avec Alice Pallot dans ses expérimentations technologiques parascientifiques des Algues maudites.
L’Américaine Lisa Oppenheim rend hommage à Monsieur Steichen au MUDAM fusionnant les couleurs saturées du dye transfer et les formes générées par l’IA elle fait revivre une variété d’iris aujourd’hui disparue. Elle produit aussi deux paravents qui célèbrent les créations textiles de Steichen durant l’année 1926-1927. Recouverts de tissus techniquement repensés l’artiste y intègre des portraits des trois femmes de sa vie (Clara, Dana et Joannna).
Deux bornes significatives des possibilités de l’IA sont intégrées à cet EMOP 2025. Bruce Eesly explore dans New Farmer une dimension caricaturale des transformations du vivant qui ne manque pas d’humour dans sa posture critique.
À l’extrême opposé, les conséquences historico-critiques de ces bouleversements sont partie prenante des photo-dessins des Diluvion Stories ou du polyptyque Les Vagues d’Eliott de Daphné Le Sergent. Ce même engagement se manifeste dans sa vidéo Silicons Islands and War. Dans la comparaison menée entre cycle des eaux et cycle des données l’artiste évoque les effondrements des civilisations passées, dont ne subsistent que les ruines technologiques.

Un regard rétrospectif sur l’histoire du médium est porté à Dudelange par le CNA exposant une partie de la collection Teutloff complétant ce monument qu’est The Family of Man toujours visible dans une version restreinte au Château de Clervaux. Toujours soucieuse de techniques anciennes, la Photothèque de la Ville de Luxembourg met en valeur les plaques autochromes de Betty Fischer qu’elle vient de restaurer.
La Cité transparente de Yann Tommar fusionne habilement des lithographies des Vues de Luxembourg (1828-1829) avec des éléments iconiques de photographies d’aujourd’hui intégrés par collage digital. Dans Reality Check à la Konschtal de Esch, cinq artistes testent les liens au réel. On s’attachera à la relecture par Erik Kessels des images vernaculaires du football à travers les figures dynamiques de sa Muddy Dance.
Une approche tout aussi singulière de la photo anonyme est la customisation de diapositives collectées par Lee Shulman pour The Anonymous Project qui deviennent les protagonistes de vitraux présentés dans l’écrin du Château de Bourglinster.
Les artistes qui tentent de repenser le médium photo sont souvent en quête de rendus et de matières différents. Parmi les nombreuses recherches récentes d’une expression en photo couleur, la pratique de la Berlinoise d’origine bulgare Marta Djourina apparait des plus singulières dans l’importance pour ses protocoles des interventions performatives. Cette radicalité expérimentale lui a valu à juste titre le prix EMOP sponsorisé par le cabinet d’avocats Arendt et Medernach (EMOP Arendt Award).

Les artistes qui concouraient à cette édition sont aussi exposés dans l’accrochage du Cercle Cité. On peut s’étonner que la pratique post-conceptuelle du portugais Paulo Simào y figure. Ce déboulonnage numérique de statues urbaines ne répond en rien à l’exigence de la thématique « Re-Thinking Photography ». D’autant que le travail de Sylvie Bonnot sur la mise en volume de ses images de nature et le froissage de ses gélatines correspondent mieux à une approche critique en œuvre.

Par ailleurs l’humain, corps et portraits, étant des sujets traditionnels, plusieurs portfolios les prennent comme sujets pour en expérimenter des approches diverses. Marco Godinho réussit dans deux images mouvantes à donner une représentation en palindrome de la cécité grâce à un double portrait de Jorge Luis Borges Blind Memory L’œil du tigre et à une situation d’échange d’un livre d’artiste avec une aveugle où le tactile prend le pas sur le visuel.
Simon Lehner, Viennois né en 1996, utilise photo, peinture, sculpture, vidéo et animation 3D au service d’archives privées et publiques pour réactiver des traumas et les complications sociales de la masculinité exacerbée. Raisan Hameed, germano-irakien né en 1991, est un photojournaliste ayant pris conscience de ne pouvoir rendre la véhémence de la guerre. Sa série De-Struction montre des extraits d’archives personnelles retrouvées dans les ruines de l’appartement familial, qui deviennent les symboles des blessures mentales post-conflit.


Une autre série d’images scénographiées en studio par Duarte Perry rendent hommage à son père disparu. Accueillie à l’Instituto Camôes, Emotionnal Extractions se sert d’objets transitionnels sur des tissus et des papiers qui se délitent pour performer des Images of Disappearance.
Cette 10e édition toujours plus expérimentale semble ainsi prolonger les deux cycles précédents proposant aussi une action radicale de Re-Thinking, on y retrouve les deux champs de la nature et de l’identité tout en interrogeant les moyens techniques mis en œuvre.