Exposition "petit à petit, l'oiseau fait son nid, se tissent et se dessinent nos paysage" d'Emmanuelle Briat
Abbaye du Relec, Finistère
Jusqu'au 2 novembre
Lorsqu’ Emmanuelle Briat est invitée à créer pour un lieu, elle se laisse porter par ce que lui disent l’architecture et l’environnement naturel. En observant le contexte, les lignes du bâti, les silhouettes des végétaux et leurs interactions au sein des milieux naturels, l’artiste y perçoit des emplacements où viendront s’insérer avec subtilité ses installations réalisées à partir d’éléments naturels, bien souvent prélevés sur place ou issus de dons de personnes rencontrées à proximité du lieu où elle est invitée à créer. Sa manière de travailler est proche de la performance, d’un corps à corps avec les matériaux. Ses gestes de tressage, qu’elle incorpore en elle, lui permettent à chaque projet, de relever de nouveaux défis. En collaborant avec le végétal, l’artiste prend conscience de ses caractéristiques formelles, aussi bien de sa force que de sa fragilité. Elle le respecte pour ses potentialités plastiques. L’architecture, la botanique, l’écologie et les techniques artisanales nourrissent sa pratique artistique.
En explorant les différents espaces de l’abbaye du Relec, Emmanuelle Briat s’est intéressée à trois sites, l’environnement de tilleuls, les ruines de l’abbaye et l’étang. D’où est né son projet de travailler sur les habitats du vivant dans l’air, sur terre et sur l’eau. Cette exposition est également le fruit d’ateliers avec des élèves d’une école Jules Ferry de Plounéour-Ménez et de sa résidence à l’abbaye. Celle-ci unit sur le même plan les œuvres de l’artiste et les travaux réalisés par les enfants qui ont pris plaisir à créer ensemble dans la joie et l’entraide. D’où pour eux, une reconnaissance de leurs travaux réalisés et exposés au cœur d’un site patrimonial inspirant à la promenade et à la médiation face au vivant végétal.
Insérés dans les branches de tilleuls, des nids grand format font écho aux nids d’oiseaux tisserins que l’artiste a notamment étudiés afin de les présenter aux élèves lors de ses interventions. De loin, ceux-ci apparaissent comme des formes venant épouser les branches de ces arbres. On peut y lire à la fois des architectures tissées par les oiseaux, des cocons, des formes organiques où les animaux viendraient y nicher et nourrir leur famille. Pour les réaliser, Emmanuelle Briat a repris ses principes d’entrelacement d’éléments naturels créant ainsi une structure à partir de laquelle y insérer des fragments de trois types de laine d’un troupeau de 11 moutons des Monts d’Arrées de Plonevez du faou offerte par une bergère. Cette œuvre se livre différemment au regard selon notre emplacement. Elle suscite en nous l’envie de toucher, de nous y lover, de ressentir du confort et de la douceur. De plus, cette installation invite à s’émerveiller et à s’interroger sur nos manières de cohabiter avec le vivant animal.


À proximité, les créations réalisées par les élèves font écho à cette œuvre qui de loin suscite la curiosité. Emmanuelle Briat leur a transmis ses gestes de tressage, de création de nœuds… Ce qui leur a permis de réaliser un ensemble de propositions sculpturales en bambous, osier, cornouillers : des cabanes liées ensemble à des branches composent un village ainsi que des petits nids liés à une branche du tilleul. Dans l’abbatiale, une sculpture souple composée d’une multitude d’anneaux en lierre et phormiums, reliés ensemble, répond visuellement aux lignes fluides du vitrail. Cette œuvre collective incarne l’énergie du faire ensemble et évoque un possible habitat d’un étrange animal.
Son installation Mémoire de ruines se déploie à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’abbaye, en écho aux arcs en croisé d’ogive. Réalisée à partir de bambous fendus dans leur longueur, provenant d’une forêt de bambous de la Roche Maurice, cette œuvre in situ suggère la reprise du vivant végétal sur l’architecture. Certains bambous sont ponctués de peinture jaune, telles des traces des modifications des textures naturelles au fil des années. L’entrelacement de ces éléments naturels guide notre regard dans différentes directions, ce qui nous amène notamment à observer les matières et couleurs des pierres de cette ruine architecturale qui traverse le temps. Traversant les murs, ressortant des anfractuosités, les bambous courbés créent des dessins, des lignes fluides, que l’on perçoit en fonction de notre position, plus ou moins à distance.


Continuons notre chemin vers l’étang… De loin, découvrons une sculpture qui flotte et suit légèrement le courant. Habitats Mixtes nous intrigue et nous enchante. Sa forme tient à la fois de la cabane, de la tente, du sablier, du radeau et renvoie aux différents types d’habitats. On songe à un possible refuge pour la faune ou bien à une construction adaptée aux changements climatiques. Cette installation a relevé d’une prouesse technique et d’une collaboration avec l’équipe de l’abbaye. De beaux échanges ont eu lieu durant la création de cette installation qui reprend les principes de construction géométrique, notamment la triangulation. La perception de cette œuvre in situ, réalisée en bois divers, feuillages et terre, change selon la luminosité de la journée et les conditions météorologiques.


Ces installations in situ condensent les principes de création d’Emmanuelle Briat : les relations entre intérieur et extérieur, la structure modulaire, la multiplication, l’équilibre, la greffe, les entrelacements de végétaux, bien souvent prélevés sur place. En observant les animaux, de nombreux architectes développent d’autres manière de construire, notamment à partir de biomatériaux, des techniques qui inspirent l’artiste. Celle-ci s’est également intéressée aux architecturales vernaculaires, les kerterres en Bretagne, construites à partir de matériaux naturels (mélange de chanvre et de chaux), les habitats en terre au Mali. Ces œuvres inspirent à cohabiter avec les vivants non-humains, à offrir à la faune des espaces où s’installer, à l’abri. Elles nous engagent à ralentir notre rythme pour apprécier croiser des présences animales, telles des surprises stimulant la joie et la curiosité, à respecter la faune sauvage ainsi qu’à prêter attention à leur milieu de vie.
Pauline Lisowski