Leïla Ka s’est fait connaitre du grand public pour sa collaboration avec sa sœur Zaho de Sagazan lors des victoires de la musique. Elle fait actuellement tourner sa pièce pour cinq danseuses Maldonne présentée au théâtre d’Orléans ce 12 novembre. Le titre Maldonne doit s’entendre entre la Madone, figure sacrée, et la « maldonne », erreur de distribution au jeu de cartes. Selon la chorégraphe « il y a maldonne dans la répartition entre les femmes et les hommes dans le monde ». Ce spectacle court est d’une haute intensité.

Elle a été formée dans la rue grâce au hip-hop puis au théâtre d’improvisation. Après avoir été interprète pour Maguy Marin dans sa célèbre pièce May B, elle crée son premier solo en 2018 Pode Ser. Ce sera ensuite le duo C’est toi qu’on adore, puis en 2022, le solo Se faire la belle récompensé par le prix « Révélation chorégraphique » du Syndicat de la critique. Elle remporte également le premier prix du Concours Danse élargie du Théâtre de la Ville de Paris avec Bouffées, courte pièce écrite déjà pour cinq interprètes.
La chorégraphe se donne comme présupposé comment danser sur ou contre la musique mais dans une danse qui les extrait de la soumission. À l’ouverture du rideau elles sont cinq serrées au centre plateau. Elles forment un groupe statuaire au bas du corps immobile dont des gestes mécaniques des bras vers la tête lancent une révolte de la perception. Elles partagent la montée de cette respiration haletante comme une rythmique brute. Après un noir soudain elles rentrent en scène sur une bande-son haletante, presque oppressante avec ses basses électroniques, leurs mouvements s’affirment alors contre le rythme trop rapide et le niveau sonore beaucoup trop élevé : « Les corps féminins racontent ce qu’ils n’osent dire, crient ce que les mots taisent. »
Dans la seconde séquence dansée façon mime hip-hop sur la version féminine de « Je suis malade » par Lara Fabian les danseuses font corps collectivement avec la musique et le message de la chanson, cela donne lieu en final à une courte séquence de saluts plus individualisés. Chaque femme devient un personnage, une figure stéréotypée, une facette des injonctions adressées aux femmes.
C’est une nouvelle forme d’adhésion corps musique qui s’enclenche avec « Dance me to the end of love » de Léonard Cohen. « Tandis que les tissus volent, brillent, craquent, tournent, traînent ou tombent, leurs corps fusionnent, vibrent et se soulèvent. » Les changements de robes témoignent de la variété de rôles que l’on revêt pour répondre à l’urgence des sentiments.
Dans une étrange dislocation des rapports entre figures dansées et musique, quand retentit une œuvre de Vivaldi les mouvements s’accélèrent jusqu’au burlesque de situations surjouées, mais toujours collectivement.
Les mécaniques dansées se recalent sur le dernier morceau plein de vitalité. Les effets de robes s’y multiplient prouvant que cette chorégraphie se situe bien dans une version féminine actuelle illustrant une tendance post Pina Bausch, entre hip-hop, théâtre et révolte dansée.

« Tandis que les tissus volent, brillent, craquent, tournent, traînent ou tombent, leurs corps fusionnent, vibrent et se soulèvent. » La suspension en hauteur de cinq robes couleurs et de matières variées marque l’espace comme autant de signaux de mode, tandis qu’à leur pied les danseuses poursuivent la conquête de leur liberté corporelle.