Florian Ruiz est un photographe originaire des Corbières né en 1972, il vit et travaille à Tokyo où il est installé depuis près de vingt ans. Il expose actuellement deux séries complémentaires à la Maison des mémoires de Carcassonne à la demande du GRAPh. Le même souci les réunit rendre sensible la menace du nucléaire dans les paysages de Fukushima et sur le site des essais chinois de Lop Nor.
Influencé à la fois par les écrivains voyageurs comme Nicolas Bouvier et Henry de Montfreid et le cinéma de Takeshi Kitano, Kurosawa ou Ozu il a eu envie de faire évoluer sa pratique documentaire développée à Alep en Syrie pendant 4 ans. Au Japon il décide de se rendre sur le site de Fukushima. Pour rendre sensible « La contamination blanche » il pense à 36 vues du Mont Fuji d’Hokusai ou aux Cinquante-trois relais du Tôkaidô de Hiroshige. Il va choisir un format panoramique qui recherche moins un effet cinéma qu’une approche globalisante pour faire porter à tout un espace la menace nucléaire telle qu’il l’a saisie in situ. Cette modification spatiale est renforcée par la superposition de deux ou plusieurs vues qui accentuent le tremblement de la représentation en un rendu de léger palimpseste. Il recherche ainsi un effet d’ukyo-e photographique. Après avoir expérimenté le sténopé en pose longue il accentue la déformation du paysage, en une pratique de fiction documentaire. Il utilise ainsi comme légende le nombre de becquerels, relevés grâce à un dosimètre pour l’air et un compteur Geiger pour les sols.


Cela rejoint le mode de travail de quatre autres artistes réunis par Michaël Ferrier dans le livre Fukushima dans l’œil du désastre paru aux éditions Thierry Marchaisse en 2021. Minato Chihiro revendique des photos ratées pour accentuer la banalisation du site sans trace visible de contamination, Harai Takashi produit des daguerréotypes contemporains, le duo Hélène Lucien ou Marc Pallain déposent des plaques médicales pour produire des chronoradiogrammes.
Pour retrouver des dimensions équivalentes en Chine où le site de Lop Nor a été utilisé comme lieu d’essais du premier « Projet 596 » en 1964 et des 45 tirs nucléaires suivants jusqu’en 1996 Florian Ruiz utilise la dynamique du diptyque pour assumer visuellement l’importance de la menace sur les habitants. La catastrophe passée s’inscrivant dans le terreau japonais préfigure les dangers pesant sur les territoires chinois ainsi documentés.


Retournant cet été dans sa région natale, il photographie l’incendie dans le massif des Corbières qui a ravagé 16 000 hectares, sa série s’intitule Forêt de cendres (Hai no mori en japonais). Toujours Influencé par l’esthétique des estampes, il conserve le format panoramique qui permet d’isoler dans l’espace de l’image les dernières carcasses arboricoles subsistant au désastre. Il reprend cette fois l’esthétique minimaliste en noir et blanc Hasegawa Tōhaku et son monde mouvant.


Pour ce faire il place un filtre en papier sur son objectif lors de prises de vue nocturnes éclairées artificiellement qui troublent la perception du réel. Ces paysages de forêts calcinées se transforment en estampes contemporaines accentuant un profond sentiment de dévastation.