Les artistes Chloé Poizat et Gianpaolo Pagni présentent la quinzième édition de Biancomuro. On y découvre en ce mois d’octobre des œuvres de Natalie Neumaier, Frédérique Lucien, Dominique Liquois et Nicolas Aiello. Où se situe Biancomuro ? Nulle part. En ligne. Quand on a dit ça, au fond on n’a rien dit, ou plutôt souffle l’esprit critique et facétieux d’une véritable proposition artistique qui ouvre aux débats.

Florence : Comment est né Biancomuro ?
Gianpaolo : Un peu par énervement. Faire une exposition devient de plus en plus compliqué, long et cher. J’ai l’impression que les gens ne se déplacent plus ou peu dans les galeries. On voulait trouver une alternative plus légère, rapide et modeste et sans enjeu financier. On voulait partager le travail d’artistes qu’on aime sur un mur virtuel pendant 1 mois.
Chloé : On a commencé à réfléchir à ce projet en 2020, il y avait sûrement un lien avec la période Covid que nous traversions, mais au-delà de ça je pense que nous avions simplement envie de nous libérer d’une forme d’exposition impliquant principalement des contraintes matérielles, et nous avions envie de tisser des liens avec des artistes ou auteur.e.s dont nous apprécions le travail. Nous voulions faire quelque chose de radical, sans un mot d’explication, par plaisir d’associer périodiquement des œuvres sur un mur unique comme le ferait un collectionneur. Dans un premier temps nous avons écrit une sorte de manifeste qui nous a servi à définir ce que nous voulions idéalement faire avec ce projet. Et la conception du site, même si elle est très simple, est ce qui nous a demandé le plus de temps de réflexion, puisque nous avons lancé le projet seulement en juin 2024.
Florence : En découvrant Biancomuro, on pense bien sûr la question de la présence de l’œuvre et de sa contemplation qui se pose. D’un côté, vous l’écrivez, la représentation de l’œuvre n’est pas l’œuvre et il y a un manque, mais de l’autre il y a aussi une solitude devant l’écran qui affranchit le regardeur du jeu social du vernissage et du lieu d’exposition en général. Qu’est-ce que pointe Biancomuro dans le contexte où vous l’avez créé ?
Gianpaolo : L’histoire de l’art a toujours mis en œuvre des moyens de faire circuler et partager les œuvres à plus grande échelle ; la gravure, les livres en sont des exemples, et désormais les écrans ont pris le relais. Ce que je trouve intéressant dans une exposition dans un lieu physique est qu’elle est limitée dans le temps. Je n’aime pas la notion d’illimité que le numérique essaye de nous imposer car cela nous rend feignants. L’idée de Biancomuro était donc de faire des expositions limitées dans le temps. Jusqu’à présent nous avons maintenu un rythme mensuel.
Chloé : Bien sûr c’est un projet frustrant car on ne peut voir les œuvres en vrai. Mais si on considère nos comportements face aux réseaux sociaux, en somme regarder des vignettes qui sont en réalité des œuvres réelles et se contenter la plupart du temps de cette vision, Biancomuro est une alternative un peu différente, ni un lieu, ni des vignettes sur un écran de téléphone. De plus ce projet offre la possibilité de montrer le travail d’artistes qui peut-être/sans doute n’exposeraient jamais ensemble dans la vie réelle.
Florence : Comment prépare-t-on une exposition en ligne ? Étant donné le peu de contraintes physiques et monétaires est-il simple de se fixer des limites, de trouver une identité singulière au projet ? Comment se distinguer d’Instagram, de Pinterest, etc. ? Aviez-vous déjà une expérience du commissariat d’exposition avant Biancomuro ?
Gianpaolo : Il y a toujours des contraintes. On fait tout nous-mêmes, on est donc obligés de faire avec nos connaissances en matière de technique. On aimerait pouvoir intégrer des œuvres vidéos ou sonores, mais pour le moment on n’a pas le temps de s’en occuper. On lance des invitations puis lorsque nous recevons les visuels Chloé s’occupe de curater l’expo. Pour ma part j’aime l’idée de montrer des œuvres ensemble sans réfléchir mais Chloé préfère trouver une cohabitation plus sensible entre les visuels.
Chloé : La préparation des expositions est une chose assez complexe finalement, qui demande du temps. Nous avons établi une liste d’artistes à qui nous demandons assez en amont de nous envoyer des œuvres de leur choix, il nous arrive aussi de choisir des œuvres spécifiques lorsque les murs sont plus difficiles à composer. La plupart des artistes que nous avons invité.e.s jusqu’à présent sont des personnes que nous connaissons, que nous avons déjà rencontré.e.s, et bien sûr des ami.e.s. Les artistes ne savent pas avec qui iels vont figurer, nous préférons leur faire la surprise au dernier moment. Pour composer les murs nous cherchons à établir des liens (visuels la plupart du temps) entre des œuvres qui à priori n’en ont pas (parfois certaines œuvres ont du mal à trouver une place, elles peuvent donc mettre du temps à paraître sur Biancomuro). Puis il y a tous les aspects techniques à réaliser (détourage des visuels, parfois un peu de chromie etc.), préparer les fichiers pour la mise à jour du site et pour Instagram, préparer la newsletter… Je pense que l’identité du projet est présente par le choix des artistes et la façon d’aborder le mur, il y a un certain goût auquel nous ne pouvons pas échapper, dans la manière de confronter les œuvres. Aussi nous ne sommes pas toujours d’accord sur les personnes àinviter, mais c’est ce qui est intéressant. Et oui, nous avions déjà fait des commissariats communs qui étaient similaires au principe de Biancomuro, c’est à dire choisir les artistes mais pas les œuvres.
Florence : Vous êtes tous deux artistes, est-ce que Biancomuro a des répercussions sur votre travail personnel ? Qu’est-ce que ça génère autour de vous ? Quels sont les retours ? J’imagine que le public touché est aussi différent de celui d’une exposition physique. Est-ce qu’une communauté s’est créée ?
Gianpaolo : Avant tout ça nous rapproche des autres artistes et c’est déjà pas mal. Le retour est très positif de la part des artistes et du monde de l’art. Pour que cela soit beaucoup plus visible on devrait être plus présent dans les réseaux sociaux. Un poste clé désormais pour l’art en général.
Chloé : J’avoue que ça me prend beaucoup de temps de cerveau en plus des aspects techniques ! C’est un peu comme si j’avais un boulot à mi-temps. Nous avons de bons retours, et ça intéresse les artistes car il n’y a pas suffisamment d’occasions ni de lieux pour montrer son travail même au sein d’un projet aussi modeste que Biancomuro. Pour autant je ne sais pas si une communauté s’est créée, mais peut-être que cela génère des liens renforcés avec certain.e.s artistes et c’est agréable de savoir qu’iels sont content.e.s du mur sur lequel iels figurent.
Biancomuro 15, jusqu’au 31 octobre 2025