En plus d’une remarquable carrière d’enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Richard Conte a mené de front une pratique d’artiste plasticien. Depuis 2017, libéré de ses responsabilités universitaires, il a entamé une nouvelle série picturale dont une sélection est présentée à Urban Gallery, à Marseille, jusqu’au 4 octobre.
Après avoir exploré et développé différentes pratiques de la peinture (images froissées des années 1980, cercles et polyptyques des années 1990), il se fonde aujourd’hui sur la perception des paréidolies pour peindre des allégories imagées. Avant de donner libre cours à une figuration à forte présence animalière ou plutôt comme il le dit, reprenant un mot de Michel Guérin, humanimale, il a antérieurement développé ses savoir-faire dans diverses séries de peintures abstraites. Ses peintures des années 1990 sont souvent circulaires et travaillées en épaisseur avec un dessin minimum de limite des surfaces. On peut rétrospectivement considérer cette période comme celle durant laquelle s’est forgé le métier qui lui permet aujourd’hui une très grande liberté dans la création des figures animalières.
Le tournant figuratif se dessine dès les années 2000, notamment avec un type de tondo particulier. Conte entreprend de peindre sur des tamis à sable, simplement achetés chez Castorama. Le grillage galvanisé retient la peinture légèrement épaisse, formant une surface plane mais irrégulière propice aux inventions. Ces œuvres demeurent souvent abstraites, mais des images surgissent parfois : par collage photographique ou par accidents formels qui stimulent l’imaginaire du peintre – puis celui des regardeurs. Les tableaux présentés aujourd’hui s’enracinent ainsi dans une pratique longue et variée, constamment nourrie d’analyses autocritiques, comme en témoigne son petit livre ironiquement intitulé En attendant que ça sèche (1994). Ses recherches universitaires portaient, elles, sur les conduites créatrices au sein du Groupe de Recherches Poïétiques de Paris1.
Ce long préambule voudrait signifier combien les qualités des peintures de Richard Conte exposées à Urban Gallery ne sont pas fortuites, elles reposent sur une longue et variée expérience de la peinture. Il y a certes une différence notable avec ses créations antérieures : nous sommes cette fois devant des peintures figurant toutes sortes d’animaux plus ou moins humanisés, avec parfois l’image d’une présence humaine plus explicite comme dans Le désir masqué, 2021 ou La maîtresse des oiseaux, 2021. On comprend vite que nous sommes ici du côté de la fable, plus que sur quelques récits, fussent-ils imaginaires. L’artiste précise bien que l’orientation iconique de l’image se met en place en même temps que progresse la formalisation plastique et que se précise le sujet du tableau.
Car c’est bien là la force de ces créations picturales, elles associent des figurations à orientations oniriques avec des formes plastiques tout à fait réussies. Dans une des salles de la Galerie est proposé un film de Axel Clévenot datant de 2021 qui suit l’évolution du tableau titre de l’exposition : Tant qu’il y aura du miel. C’est très explicite et très instructif de voir l’évolution du même tableau au fur et à mesure des séances avec l’apparition de certaines représentations, puis d’assister à leur disparition au fur et à mesure de l’évolution de l’image. La peinture gagne en force visuelle tout en restant en même temps aussi énigmatique pour le regardeur. Conte en spécialiste de la poïétique est tout à fait conscient de cette généalogie impénétrable de l’œuvre : « Je ne peins pas ce que je pense, mais ce que la peinture me donne à penser dans son itinérance concrète ». Il précise encore que les figures de ses peintures « ont plus le statut d’une apparition que d’une représentation ». À la différence du film de Clouzot (Le mystère Picasso) l’artiste commente lui-même certains choix qui orientent l’évolution de l’œuvre.
Mais s’il explicite le chemin parcouru, il n’énonce pas véritablement comment ses choix font de l’œuvre une réussite plastique et conceptuelle. Car ce qui est particulièrement étonnant dans l’exposition, c’est que toutes ces peintures accrochées aux cimaises sont plastiquement très réussies. Cela tient à la maîtrise que Richard Conte possède depuis ses expériences abstraites évoquées au début du texte. On peut le formuler comme cela : par delà l’équilibre des couleurs, ces peintures sont très bien dessinées.
Le pinceau à la main l’artiste installe des figures dans un savant équilibre fond-forme. Il y a apparition d’une cohérence entre les différentes masses iconiques qui s’enchâssent les unes avec les autres en même temps qu’elles se distinguent des surfaces en arrière-fond. Cela a l’air simple quand c’est fait mais cela demande soit la géniale liberté que possèdent les jeunes enfants et les artistes de l’art brut, soit une grande maîtrise des espaces plans et profonds, ce que seuls parviennent à réussir les meilleurs peintres. Il y a tellement de choses dans ce cas à maîtriser que pour Richard Conte, comme pour les peintres expérimentés, cela devient une seconde nature. Il retravaille ses peintures jusqu’à trouver l’équilibre visuel-signifiant. C’est ce qui passe dans la toile de 2023, L’ours polaire et la barbe à papa, entre le blanc du corps de l’évocation de l’animal et le rose de la friandise. Une mention spéciale pour le parfait équilibre réussi dans le dessin interne/externe, dans le coin supérieur gauche entre les contours, la patte et le bord de la tête de l’animal. Un autre exemple de bel équilibre de la figure et du fond se trouve dans le Poulain antique. L’animal traité en couleurs claires se distingue très élégamment du fond sombre par ce parfait équilibre du dessin de contour. Celui-ci est particulièrement réussi dans la forme sombre qui se situe entre le bas de la tête de l’animal et le corps massif de la bête et aussi entre les deux pattes. Ce bel équilibre du dessin des formes dessinées est également parfaitement réussi dans la toile Tendresse, 2025 où les formes peintes qu’elles soient sombres ou claires s’imbriquent parfaitement comme dans un puzzle.
Il y a lieu de préciser que l’exercice de cet accord dessin peinture, Richard Conte en fait préalablement l’expérience dans ses « liasses ». Il travaille sur des feuilles de papier pulpe de coton assemblées comme pour un livre que l’on feuillette enchaînant surprises graphiques et émerveillements colorés. Les sujets, distincts ou déployés sur une double page, composent un « livre » où il y a tout à voir et rien à lire. Les sujets peuvent être différents sur les pages de droite et de gauche ou se déployer sur les deux comme dans les illustrations jointes. Largement ouvertes et posées à la verticale, ces liasses peuvent tenir sur un socle telles une sculpture d’images peintes. Ces feuillets en grand nombre sont autant d’occasions d’explorations formelles et iconiques qui pourront éventuellement devenir des idées pour de futures toiles.
Dans son texte pour le catalogue de cette exposition Richard Conte précise : « Je ne peins pas ce que je pense, mais ce que la peinture me donne à penser dans son itinérance concrète. » Cette déclaration très poïétique situe bien la spécificité de ces créations qui tiennent un peu de la fable et surtout du songe éveillé. On n’est pourtant pas ici dans la suite de l’aventure surréaliste où la pensée créatrice voulait s’exercer hors du contrôle de la raison. Dans cet ensemble de peintures il y a le merveilleux du rêve et parfois une dose d’imaginaire cauchemardesque. Cependant l’immense maîtrise du processus génératif de l’auteur sait trouver le juste équilibre plastique qui, au-delà de la ressemblance, parvient par des chemins différents pour chaque œuvre, à proposer aux regardeurs des « figures » qui s’écartent de la représentation du visible pour glisser vers le symbolique. Il faut s’y prendre à plusieurs fois pour saisir les créations de Richard Conte.







