Tarlabaşı, quartier d’Istanbul sacrifié aux manipulations immobilières

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D’où vient ce bruit à l’horizon ?
Un livre d’artiste de Francesca Dal Chele
ISBN 2-911410-13-0
www.frances-dal-chele.com

« D’où vient ce bruit à l’horizon ? » est d’abord un très bel objet au design subtilement pensé par Dominique Mérigard pour donner le plus bel accès au lecteur à cet ensemble documentaire photo-texte de Francesca Dal Chele sous forme de livre d’artiste. Depuis 2007 elle explore la situation en Turquie où elle a constaté les nuisances de l’idéologie néo-libérale sur le tissu urbain. De 2014 à 2023 elle a mené un ensemble de prises de vues dans le quartier de Tarlabaşı, situé au cœur d’Istanbul à deux pas de la place Taksim, où se concentrent vols, drogue, prostitution, économie grise, mais qui reste l’enjeu de concurrences immobilières.

Le livre-objet compte sept leporellos de 20 cm de haut au format déployé d’un mètre, un livret de 64 pages avec une préface de Sophie Bernard, une introduction de Jean-François Pérouse, géographe-urbaniste habitant Tarlabaşı et de larges extraits des carnets de bords de l’auteure. Un dépliant « Légendes » compte au format affiche les vignettes de toutes les images. 

Sophie Bernard rappelle les deux premiers temps de cette trilogie : « Après l’Anatolie pour ‘Du loukoum au béton’ de 2007 à 2010, puis la périphérie d’Istanbul pour ‘Le passé de l’avenir’ de 2011 à 2014. »

Dans la poursuite du souci documentaire, la photographe se concentre ici sur le chantier de « régénération » urbaine, Tarlabaşı 360, 20 000 m² d’expropriations initiales, la conservation de quelques façades derrière lesquelles reconstruire mais aucun logement social prévu et un chantier en retard de plusieurs années. Pour donner corps à ce projet, Francesca Dal Chele souhaite redonner une place aux hommes et femmes vulnérables qui habitent les rues jouxtant le chantier.

Au plan esthétique l’artiste déclare « mon parti-pris formel est de désaturer les images et de les circonscrire par un halo sombre : convocation de l’effacement progressif de ce quartier et de l’avenir cerné de ces sans-voix de la communauté des dépossédés ». L’organisation de chaque séquence en leporello lui donne une autonomie narrative qui en renforce la dramaturgie en lui conférant une puissance quasi cinématographique. 

« Tarlabaşı, l’indéfinissable, le gouffre des autres, le supposé creuset des marginalités urbaines, l’arrière-cour de Taksim » à cette sombre définition de Jean-François Pérouse, Francesca Dal Chele répond par ses séquences déployées mêlant des visions secrètes sur le chantier, les carcasses de bâtiments abandonnés, des plans serrés sur les corps, des vues nocturnes floutant objets et acteurs urbains. Cette approche aussi sensuelle que sensible donne une idée très réaliste de cette situation dramatique générée par une idéologie du profit qui ne laisse qu’une place marginale à l’humain.