Un essai de Paul di Felice à l’écoute des mutations artistiques contemporaines en photographie

L’intérêt de ce livre est de faire un lien théorique et critique entre les oeuvres plasticiennes des années 1980-90 et celle des trois dernières décennies. Pour en témoigner , au titre « La photographie entre fragmentation des corps et virtualité des espaces » s’ajoute le sous titre qui manifeste ces évolutions au sein des arts plastiques en général : « Mutations artistiques contemporaines ». Il parait au moment où l’auteur co-organise le 8 ème Mois Européen de la Photographie à Luxembourg, nous y reviendrons. L’ouvrage témoigne de l’engagement global de Paul di Felice en tant que critique d’art, universitaire et docteur en arts, curateur et éditeur des publications Café Crème.

Dans la même collection Eidos des éditions l’Harmattan, dirigée par François Soulages et Michel Costantini il avait en 2020 proposé cette première étude « La photographie entre tableau & dispositif » qui tentait une approche des nouvelles formes plastiques et de leur dynamique au sein de l’exposition. Effacement du médium et hybridation y étaient étudiées. Son introduction analyse les « réalités fabriquées » telles que les ont pratiquées les artistes internationaux de ce que l’on a connu comme la période historique de la staged photography avec Laurie Simmons, David Levinthal, Sandy Skoglund ou dans des images plus performatives comme celles de Philippe Ramette. Il prolonge cette évolution en l’affirmant du côté de la réappropriation et de la déconstruction. Cela lui permet de faire un lien avec les installations des actionnistes viennois avant de rappeler d’autres pratiques du corps scénographié par Jurgen Klauke notamment ou de nous faire découvrir les propositions récentes de sud-africain Mohau Modisakeng, née 1986, dans une orientation plus socio-politique . Aux images post-coloniales s’ajoutent ces oeuvres des expériences corporelles liées au Polaroïd avec Hannah Villiger ou Alix Marie exposée il y a deux ans pour le European Month of Photography sur le thème des Body Fictions. On pouvait y admirer aussi l’approche genrée non dénuée d’humour de Mike Bourscheid avec sa série You inherited that from your father ! We dance our name . Ainsi que les expérimentations de SMITH à travers ses Spectrographies . Le post-humain dans ses déformations extrêmes y est abordé par Weronika Gesika (née en 1984).

La mise en oeuvre des corps, leur fragmentation se joue dans l’opposition entre des tendances mortifères et de complexes constructions biographiques. On trouve évidemment des oeuvres aussi fortes que celles d’Andres Serrano ou de Joel-Peter Witkin avec leurs flirts mortifères. Au nom de l’obscénité revendiquée ils sont accompagnés par Robert Mapplethorpe ou Antoine d’Agata.

Du côté de l’exaltation du vivant l’auteur rappelle le travail de Francesca Woodman, ainsi que les autoportraits participatifs de Cristina Nunez , tandis qu’il fait dialoguer les Black Women de Valérie Belin, avec les autoportraits mis en scène par Zanele Muholi, artiste sud africaine, née en 1972.

Le livre se termine sur les pratiques les plus récentes de la Post Photography, chapitre qui s’ouvre logiquement avec Joan Fontcuberta l’un de ses plus grands expérimentateurs.On y trouve aussi les couples ou artistes féministes déjà exposés du temps de a manifestation Les trahisons du modèles en 2000 : Aziz&Cücher, Lavick Müller, Nicole Tran Ba Vang, ORLAN. Ces pratiques hybrides qui jouent aux marges des nouvelles technologies, elles sont en lien avec l’histoire de la peinture traditionnelle chez l’artiste chinois Yang Yongliang, elle font l’objet d’installations complexes chez Peter Aerschmann. Elles montrent des réalités nouvelles chez Thibaut Brunet, Cédric Delsaux ou Lionel Bayol-Thémines.

Au moment où le 2eme Parlement de la photographie , une récente table ronde du Ministère de la culture réunissait début mai Etienne Hatt, Anne Bertrand , Michel Poivert et Marie Docher pour s’interroger sur la crise de la critique photographique ce livre témoigne qu’elle se porte bien quand elle conjugue de façon plurielle expositions, publications et recherches au service des artistes internationaux de différentes générations.