Sylvie Mir, l’expérience de la peinture

Sylvie Mir, Temporalités rapprochées. La peinture en expansion
du mercredi 23 mai au 7 juin 2025
Invisible Galerie

Une exposition personnelle de Sylvie Mir est accrochée jusqu’au 7 juin à Invisible Galerie, Marseille. Elle occupe très bien tout l’espace du lieu avec un choix de créations produites entre 2021 et 2025. Une série d’œuvres de tailles variées profite des configurations de la galerie du plafond au sol (ou presque). De l’entrée jusqu’au fond du lieu d’exposition, le visiteur est accompagné dans des découvertes successives de gestes picturaux parents mais variés. Cela se remarque particulièrement sur le mur de gauche de la galerie, où les toiles sont disposées astucieusement au-dessus ou en dessous d’une ligne non tracée, matérialisée par les bords inférieurs ou supérieurs des châssis. La succession des supports de tailles différentes incite d’autant plus à la déambulation visuelle que les figures et les signes colorés s’avèrent très différents par leur nombre, leur gestuelle et l’occupation parfois inattendue dans l’espace du format. Le titre donné à cette exposition Temporalités rapprochées, La peinture en expansion est très pertinent. S’il est difficile d’accéder à la sémantique de la naissance de ces figures, on peut se contenter d’admirer une genèse plastique qui garde une part de mystère. L’effet couleur paraît dominant mais le dessin n’est pas négligé. Les interventions graphiques sont multiples ; elles accompagnent la couleur et prennent parfois l’ascendant. On en vient à penser que le dessin dans ses expressions diverses est essentiel pour ces œuvres, par-delà leur architecture et leurs jeux de couleurs.

Sylvie Mir embrasse tout l’art de peindre, elle ne néglige rien. À côté des étendues peintes qui se détachent elles même sur des fonds picturaux, il y a aussi les divers tracés linéaires qui, en survolant les taches et les espaces multiplement animés, permettent d’instaurer du lien entre les motifs. Par-delà les origines stylistiques dissemblables et les gestes picturaux différents, le métier artistique prend le dessus. Il parvient à organiser la cohérence plastique et spatiale de l’ensemble. Dans cette série d’œuvres, ce que l’on peut appeler le protocole — les règles et procédures délibérément choisies par le créateur pour présider à la genèse de celles-ci — existe toujours mais il s’est assoupli et diversifié. Le protocole (l’artiste utilise ce terme dans le court texte qui accompagne l’exposition) concerne surtout certaines productions plastiques dans lesquels les surfaces peintes et les gestes scripteurs sont distribués jusqu’aux bords du châssis, comme si la toile n’était qu’une partie d’une œuvre plus grande. Notre regard apprécie que les marques plastiques qui sont produites par une succession d’opérations définies restent vivantes. Le choix des gestes scripteurs est lié à des expérimentations antérieures. Ils continuent ici leur exploration, jusqu’à ce que se manifeste, dans un au-delà de la forme visuelle, l’indicible d’une pensée plastique.

Sans titre,  2021, 3 x 61 x 50 cm
Sans titre, 2021, 2 x 61 x 50 cm

Sylvie Mir procède à l’élaboration de la plupart de ses peintures par une succession de couleurs et de matières mises en mouvement. La peinture ça coule, mais en plasticienne expérimentée elle sait en tirer parti. Dans une même peinture certaines étendues colorées sont obtenues à partir d’un travail parfaitement lisse tandis que, sur d’autres surfaces, l’artiste joue avec diverses traces de facture et des coulures. Mieux, dans certaines créations, comme les deux Sans titre, 2021, 150 x 125 cm, la peinture défie la gravité : elle coule vers le haut. L’effet est d’abord déroutant, puis vient affirmer l’absolue liberté de l’artiste. Les reprises colorées sur ces figures sont très vivantes, toutes des parties de l’œuvre sont plastiquement animées sans que s’exprime, comme dans les peintures expressionnistes, la présence subjective du peintre. Dans chacune des créations, notre artiste prend en compte la totalité du subjectile, pourtant les figures vivement colorées sont rarement centrées. Les étendues gestuellement travaillées se prolongent jusqu’aux limites du format, elles semblent même souvent devoir se prolonger hors du tableau. En accord avec les abstractions nouvelles, initiées aux États-Unis après la guerre, l’artiste se contente de proposer un fragment de monde et ne fait pas du tableau un petit monde dans un petit espace. Cela classe encore aujourd’hui les peintres attachés à une certaine tradition et ceux ouverts aux expériences nouvelles.

Sans titre, 2021, 150 x 125 cm
Sans titre, 2021, 150 x 125 cm
Sans titre, 2021, 150 x 125 cm

Sylvie Mir réussit pour chacune de ses peintures à créer une belle spatialité picturale tout en maintenant le plan du tableau. Tout se passe dans cet espace de faible profondeur, entre la surface écrue de la toile brute, restée visible par endroits, et le plan pictural optiquement créé en avant du tableau. Passant d’une toile à l’autre, le visiteur éprouve les tactilités particulières dans le posé des étendues de couleur. Toutes ces étendues nous paraissent frontales, assumant par avance l’accrochage sur le mur vertical de la galerie même si elles sont produites à l’horizontale. Des profondeurs fictives existent par la superposition des pans de couleurs. Le plaisir des regardeurs (et du peintre comme premier d’entre eux) est de pouvoir circuler avec jubilation, sans heurts, sur l’ensemble de l’œuvre. Les juxtapositions de différentes teintes produisent pour chaque toile une lumière particulière, une lumière picturale qui ne mime pas celle des éclairages de la nature mais sourd de la toile. Le résultat est jugé satisfaisant, non parce qu’il correspond à l’idée que le peintre se faisait du tableau avant de commencer, mais en raison des transformations liées à l’expérience de la création et conduisant à la mise en place d’un système de cohérence spécifique.

Sans titre, 2024, 150 x 125 cm

Si l’artiste réussit à faire émerger des figures à forte présence plastique, les figures qui composent ses peintures ne renvoient ni à un modèle de la réalité, ni à une abstraction dénuée de présence matérielle, ni à quelque pur concept. Chacun des éléments apparaît comme un élément constitutif d’une organisation structurée qui reste pourtant toujours ouverte. C’est à cela que l’on mesure l’expérience de la peinture.

Et en plus :

Quelques créations différentes, de l’année 2025, sont accrochées aux petits murs de la galerie. Il s’agit d’assemblages, précise l’artiste, de papiers fins, de fibre de papiers, de fils de chanvre, d’encre. Tous ces morceaux sont superposés et légèrement encollés par des interventions avec de la peinture acrylique. Les tracés aux pinceaux sont variés, fins et délicats. Comme le papier est partiellement transparent, le regardeur ne sait plus très bien situer spatialement le geste-signe qu’il perçoit. Cette incertitude de perception est loin d’être gênante : elle questionne le visiteur et le rend actif. Il ne fait plus juste un passage distrait le long de l’œuvre, il doit s’arrêter pour interroger son regard. On comprend très bien que, en artiste expérimentée, Sylvie Mir cherche dans d’autres directions que ce qu’elle a produit depuis quelques années. On attendra de voir prochainement des productions de ce type, plus nombreuses ou de plus grandes dimensions.

Papiers à dessins, 2025, 21,5 x 45 cm