
Classée parmi les 100 personnes les plus influentes de l’année 2025 dans le Times Magazine, Mickalene Thomas est une figure populaire aux États-Unis : moins connue en France, le musée des Abattoirs lui consacre, du 13 juin au 9 novembre 2025, une monographie d’envergure sur deux étages du musée. Cette exposition itinérante est arrivée à Toulouse après avoir été présentée à The Broad à Los Angeles, The Barnes Foundation à Philadelphie et à la Hayward Gallery à Londres.
Utilisation des strass, reproduction de salons et de décorations années 1970, peintures colorées, collages pop en images et vidéos : l’œuvre de Mickalene Thomas, reconnaissable d’un premier coup d’œil est généreuse, débordante de vie, de joie et de force – d’empouvoirement1. Chaque pièce est traversée par le désir – et le mot n’est pas choisi au hasard – de mettre en avant des femmes noires, généralement issues de l’entourage de l’artiste : mère, grand-mère, amante. Mickalene Thomas aime ces femmes et leur rend bien, leur rend hommage depuis une longue histoire de l’art et de la peinture dans laquelle elle s’inscrit et qu’elle réinterprète à la fois. À sa manière, par la force même de l’image, elle rejoue ce rapport entre la figure de la muse et le double regard de l’artiste puis du public. Nous en connaissons la chanson : le corps langoureux de la femme soumise face au voyeuriste, est la mélodie qui traverse les mouvements artistiques et les siècles. Chez Mickalene Thomas, c’est ce rapport qui se voit renversé, par le biais même de l’œuvre et de la représentation. Chaque œuvre appartient à son sujet, nous racontant sa propre indépendance, sa force, sa beauté ; les tableaux et installations se font espaces de liberté, ces espaces qui ont tant manqué et manquent encore aux femmes, aux femmes noires surtout. Depuis l’œuvre, les corps s’installent et se déploient, dans un patchwork de formes, de motifs, de couleurs et de matières ; les regards, frontaux, vifs et étincelants, grande force des tableaux de Mickalene Thomas, paraissent nous jauger, nous juger.
Créées à partir de personnalités réelles et connues de l’artiste, les œuvres transmettent cette humanité, ces vies. Ainsi, en représentant le salon de sa mère avec sa décoration d’intérieur, quelques-uns de ses objets fétiches comme une paire de crocs reproduite en bronze et des vinyles, nous accédons à une part de cette personnalité, une part d’intimité. L’espace domestique est important pour l’artiste car il se doit d’être ce « lieu à soi » cher à Virginia Woolf et à plusieurs générations de féministes qui ont repris cette notion dans leurs théories et revendications. L’espace est toujours au croisement des luttes : prendre l’espace, c’est prendre sa liberté. C’est un enjeu de chaque instant et de chaque lieu, de la sphère privée et domestique à la rue en passant par les salles des centres d’art et des musées.
C’est peut-être ce qui explique le grand soin que Mickalene Thomas apporte à ses scénographies, qu’elle travaille au même titre que ses œuvres – elle va notamment acheter du tissu wax dans le quartier des Abattoirs, pour en recouvrir les bancs. Elle met ainsi en place une exposition qu’on peut qualifier de confortable, comme dans la salle « Les lutteuses » où l’espace feutré en moquette, fauteuils et murs en placo bois jurent avec les postures de lutte qu’est en train d’effectuer l’artiste, en justaucorps léopard, sur les photographies et tableaux accrochés de part et d’autre de la pièce. De même, dans la salle « Icônes », Mickalene Thomas constitue un salon au style seventies, époque où s’est développé le mouvement « Black is Beautiful » prônant les canons de beauté noire. Des fauteuils invitent à s’installer pour feuilleter des livres dont « all about love » de bell hooks qui prête son titre à l’exposition. En face du salon, un collage vidéo propose des interprétations de la chanson Angelitos Negros d’Eartha Kitt, dont la musique en boucle traverse par ailleurs plusieurs salles du musée. Enfin, l’ensemble de l’exposition est plongée dans une faible luminosité qui met en valeur les couleurs et surtout les strass chers à Mickalene Thomas. De différentes formes et de différentes couleurs, ceux-ci sont ici agencés telle une orfèvrerie, offrant parure et mouvement aux collages qui brillent et reflètent d’autant plus dans la semi-obscurité.
Les strass résument finalement le désir qui anime les œuvres : être visible. Capter toute la lumière. La refléter sur les autres. Assumer sa personnalité. Prendre la place et briller de mille feux. Mickalene Thomas célèbre cette forme d’amour en révélant les personnalités et les forces des « muses » de sa vie dans son œuvre à la fois pop et puissante.





- Empouvoirement : traduction littérale de l’anglais empowerment, utilisée dans les écrits féministes pour signifier le fait de (re)prendre son propre pouvoir, ses capacités de pensées et d’actions, d’émancipation. ↩︎