Marina Grzinic, une fiction reconstruite, Europe de l’Est, post-socialisme et rétro-avant-garde, Paris, coll. Ouverture Philosophique, L’Harmattan, 2005.

Dans ce jeu d’alternances des préfixes « post » et « rétro » , dont la prononciation semble au premier abord avancer l’imbrication d’une lutte, Marina Grzinic présente un large spectre de la création contemporaine en Europe de l’Est. Elle brosse le portrait de la figure d’un artiste développant de nouvelles stratégies visuelles à l’aube d’un troisième millénaire, laissant derrière lui les grandes machines socialistes. C’est donc sous l’effet d’une rupture, qui se cristallise en 1989 suite à la chute du Mur de Berlin, qu’elle définit le sujet créateur. S’appuyant sur les théories de la psychanalyse lacanienne, et notamment sur son schéma L (où le sujet est étoilé dans un diagramme à quatre coins mettant tour à tour en liaison le moi et son objet dans une relation de miroir), elle défie l’existence d’un sujet moderne inscrit dans une totalité pour lui opposer l’avènement d’un individu hautement divisé. Dans un monde « post-industriel » , « postmoderne » , « post-nationaliste » , « post-néocolonial » , « pos-structural » , apparemment sans alternatives au capitalisme, « le sujet, écrit-elle, est à la fois le trou ontologique, la faille qui fonde la subjectivité dans son absolue contradiction, d’une part, et, d’autre part, la rupture des connexions entre sujet et réalité » . Ce sujet est alors voué à s’identifier au reste « excrémentiel » , au reste inutile de toutes ces idéologies pantelantes.

Cette réflexion n’est pas sans faire écho à la scène artistique internationale où l’artiste est qualifié d’altermondialiste [1] dans les cartels de l’exposition Notre Histoire au Palais de Tokyo (concentrée autour d’une trentaine d’artiste émergents de la scène française mais comprenant des artistes nés à l’étranger, hiver 2006), ont stigmatisé cette ambivalence. Les stratégies que cet artiste « actuel » déploie alors déjouent nos habitudes perceptives autant que s’ingénient à falsifier les codes relatifs aux enjeux politiques ou économiques dénoncés. L’artiste « actuel » renverse l’ordre visuel afin de proposer toute une batterie d’alternatives aux modes dominants. Dans un enchaînement quasiment sans fin des substitutions, où une information est remplacée par une autre, il transpose, déplace, agrandit, focalise, destitue et remplace, instaurant une œuvre singulière dans laquelle l’élasticité et la plasticité des formes se font l’ébauche d’un nouvel espace. Bref, il s’efforce d’influer sur l’opinion, comme d’une doxa que l’on déplacerait au gré d’un flux médiatique.

En découvrant la prose très dense de Marina Griznic (et parfois dure à défricher), il nous faudrait avec elle, faire ce vSu commun : le danger n’est pas tant celui de l’homogénéisation de la culture à l’échelle mondiale, mais il s’agit d’un risque encouru par le sujet lui-même, par cette image qu’on donne à l’artiste, cette étiquette « altermondialiste » qui rabat son discours sur une homogénéité frisant parfois le superficiel. Rêvons alors d’un sujet « de merde » , en tous points fragmentés, brisé, mais mettant en exergue le caractère antagoniste du système. Rêvons d’une transgression qui se vive en chacun, car c’est peut-être le plus vieil enjeu de la création moderne.