La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Les résonances végétales tissées par Frédérique Gourdon 

Prix lacritique.org 2024 du salon Réalités Nouvelles

Dans sa poursuite des interrogations esthétiques autour de l’abstraction, ce 78e salon Réalités Nouvelles propose un maximum de productions dans des techniques traditionnelles, comme la peinture, la sculpture, la photo. C’est pourquoi mon regard et mon intérêt ont tout de suite été attirés par les techniques mixtes de Frédérique Gourdon mises en œuvre dans son installation. Son titre Déployer les points de vue m’offrant même un mode d’emploi, j’ai choisi de lui attribuer le prix lacritique.org 2024.

Née en 1971 à Paris, Frédérique Gourdon vit et travaille en Île-de-France. Elle se forme en explorant diverses techniques : peinture à l’huile, gravure, sculpture, dessin… Diplômée de l’école d’art « Terre et Feu » en 2009, elle mène ses recherches artistiques autour des notions de traces, d’empreintes et de variations en explorant différentes matières peinture, encres, collages, impressions, monotype…

Me rendant sur son site, j’ai apprécié qu’elle continue d’expérimenter différents supports et techniques. On y trouve d’autres installations, des tentures, des sculptures, des dessins, des photos et même deux courtes vidéos. J’ai été sensible aussi à la qualité poétique de sa titraille. Un certain nombre de ces titres renvoient à la physicalité de ses productions : « Accumulation, Empilement, Rhizomes, Strates, Trame, Ondulations… »  D’autres manifestent une dimension plus poétique encore liée à la nature : « Limbes, les Invisibles, Ballades sur l’estran, Goutte de rosée ou Contours du fragile. »

Quand on l’interroge à ce sujet, elle rappelle ses premiers travaux picturaux où elle suivait le fil du pinceau et son attirance à sortir de la surface, à mettre de l’air pour ouvrir la matière. Elle a donc décidé d’inventer ses process artistiques d’où sa découverte du lin, de la fibre végétale, l’emploi de tentures, autres formes de la toile et de fil pour dessiner dans l’espace.

Le geste est ponctuel au plus près du tissu, héritage à repenser de la mère couturière, sa planche à découpe, ses patrons, ses aiguilles. Il peut se faire plus technique lors de l’encrage partiel du support que les motifs s’y incarnent dans la trame même. En transperçant le support, en ouvrant la matière papier, elle libère encore ses gestes et sa pratique proliférante. Enlever ensuite de la matière, détisser, c’est se donner de la transparence pour gagner d’autres espaces, en devant et en deçà.

Petits objets tissés et grandes installations façon tentures ouvrent un chemin commun, d’abord au regard, puis au corps des spectateurs invités à s’approcher. En résultent des progressions bourgeonnantes, des efflorescences arachnéennes démultipliant les plans et les mutations comme génétiquement modifiées dans ce complexe réseau de peaux végétales.