La collection du Centre Pompidou Metz à l’aune de Maurizio Cattelan

« Dimanche sans fin »
Centre Pompidou Metz
Du 08 mai 2025 au 02 février 2027
Retrouvez le catalogue et plus d’information concernant l’exposition sur le site du musée

Pour les 15 ans de l’antenne de Metz « Un dimanche sans fin » met en relation 400 pièces de la collection et un choix de 40 œuvres de Maurizio Cattelan, célèbre pour ses scandales, dans un double commissariat de l’artiste italien et de Chiara Parisi, directrice du Centre. Les détracteurs de l’art contemporain ont trop beau jeu à dénoncer ce trublion grâce au scandale de sa banane scotchée Comedian qui a atteint en vente la somme exorbitante de 400 millions de dollars. Cet accrochage qui occupe pour près de deux ans l’ensemble du bâtiment de Shigeru Ban et Jean de Gastines va obliger à dépasser le buzz réactionnaire pour s’attacher à la diversité et à la richesse de cette œuvre phare dans son dialogue si fécond avec la création internationale des deux siècles passés.

Cattelan apparait d’abord comme un héritier de Duchamp en proposant des œuvres jouant d’une tautologie plastique fonctionnant aussi sur le mode A rose is a rose is a rose selon la formule de Gertrude Stein qui actualise et diversifie le ready-made aujourd’hui. On peut lire ainsi l’œuvre la plus contestée, de même le coffre fort endommagé titré d’un seul chiffre 157 000 000 et situé à proximité de la caisse. Ou encore le calendrier à fiches détachables toutes marquées avec humour OGGI, aujourd’hui !

Certaines œuvres pourraient être qualifiées d’empêchées révélant un dysfonctionnement. Ainsi, la porte factice de la Wrong Gallery n’ouvre que sur un espace restreint n’autorisant ni véritable exposition ni accès des visiteurs. Face à une fenêtre, deux souliers usés accueillent chacun un plant de poivron, l’humain a disparu.

Un troisième mode de fonctionnement se manifeste dans des œuvres augmentées, tel Félix le squelette géant d’un chat en fibre de verre, ou Stadium le babyfoot pour toute une équipe de joueurs immigrés ou l’anti-monument titré L.O.V.E centré sur un immense doigt d’honneur. Le rapport au corps du spectateur s’en trouve perturbé, dans l’accommodation mentale qu’il est obligé d’effectuer. Ce gigantisme se manifeste dans la photographie Father qui montre la plante des pieds d’un homme, une sorte de memento mori.

Maurizio Cattelan, Father

A contrario une mort miniature est symbolisée par Deaf qui enserre dans une bouteille en verre un minuscule squelette encagoulé en train de jouer de la guitare. Autre œuvre au charme domestique, une photo de l’artiste torse nu faisant un cœur avec ses doigts réunis occupe le coin d’une immense baie donnant sur l’architecture intérieure de bois du centre. Avec une visée morale pour répondre à l’échiquier de Duchamp, un autre plateau de jeu d’échecs aligne de chaque côté les figures cinématographiques hollywoodiennes du bien et du mal Good versus Evil.

Un troisième type d’opération artistique aboutit à des œuvres déplacées dont l’incongruité apparait ainsi frappante. On ne peut que s’étonner, par exemple face à ce monument constitué d’un mur de marbre où au lieu de célébrer les victimes d’une guerre passée sont inscrits les résultats de différents matchs de football. Dans Kaputt cinq chevaux ont l’encolure fichée dans un mur à plusieurs mètres de hauteur, tandis qu’au pied de cette cloison est assis un mendiant, les jambes repliées. Plus frappant encore, Shadow met en scène une femme accroupie à l’intérieur d’un réfrigérateur rempli de victuailles et à la porte ouverte. Il faut savoir que la personne ainsi représentée est la mère de l’artiste qui venait de mourir. Le déplacement se redouble puisqu’un travail de deuil devient une scène surréaliste à l’humour grinçant.

Maurizio Cattelan, Kaputt, 2013
Maurizio Cattelan, Shadow, 2023

Les formes de correspondance entre les œuvres de Cattelan et celles de la collection sont multiples. Elles peuvent jouer de rapprochement des sujets ainsi l’autoportrait en chien vautré sur le dos semble surveiller le troupeau de moutons du couple Lalanne. Des proximités de matière sont mises en jeu : à la sculpture De quel amour de Dorothea Tanning illustrant Ariane blessée répond l’autoportrait en forme de botte moulée en gomme polyuréthane. Une même appartenance à un genre artistique réunit les autoportraits picturaux les plus célèbres cernés par les 92 masques en latex de petites dimensions, énoncés comme des Spermini.

Maurizio Cattelan, Spermini, 1997

Un dialogue plastique très réussi fait fusionner un miroir métallique de Michelangelo Pistoletto avec le reflet de 3 enfants pendus, tandis qu’au sol des sacs de récupération et de transports de gravats recueillent des cadenas d’amoureux fixé sur le Pont des Arts, Love Locks de Cyprien Gaillard.

Certains champs thématiques sont récurrents chez Cattelan, ainsi la critique de tous les pouvoirs peut prendre la forme amusante de deux labradors naturalisés encadrant un poussin lui aussi empaillé. Parmi les plus subversives, on se souvient de deux sculptures ne figurant pas ici La Nona Ora (1999), représentation hyperréaliste du pape Jean-Paul II terrassé par une météorite ou Him (2001), figurant un Adolf Hitler de petite taille repentant agenouillé en prière. Deux œuvres monumentales constituent un décor pour un design quasi officiel, la table ronde de Chen Zhen fait face à Sunday l’immense surface en miroir percé d’impacts de balle par l’Italien. 

Chen Zhen, Round table, 1995

Le parcours de l’exposition est balisé de textes illustrant différentes acceptions du dimanche, jour de loisirs et de consommation, chacune nommée d’après un poème, un film ou un roman.. Sur le modèle de l’Abécédaire de Gilles Deleuze elles égrènent A pour « Air de famille, G La Grand illusion, J Je est un autre, W ou le souvenir d’enfance…. Orientant notre découverte des œuvres comme dans P Pour toujours « elles nous interrogent sur la limite de ce que représentent nos besoins de laisser des traces, de conserver nos souvenirs, d’exister par le passé pour l’écriture duquel on consacre beaucoup de notre présent ». Leur aspect incitatif à une lecture active rejoint une installation de la Ribot célèbre chorégraphe plasticienne espagnole Walk the Chair. Et les 50 chaises pliantes en bois gravées de citations de chorégraphes, d’artistes et de philosophes, et les extraits agrandis au mur dans des positionnements différents obligent le visiteur à s’investir pour les déchiffrer et à en performer le sens.

la Ribot, Walk the Chair, 2010