La galerie de la Marine à Nice est actuellement transformée en un « Jardin fantôme », promettant par ce titre une installation immersive digne d’un parc d’attraction, prolongeant l’atmosphère festivalière du mois de février.

Dès l’entrée, on plonge dans une ambiance nocturne où se détachent quelques tableaux sur les murs, un amas de terre au sol, une projection vidéo au fond. Le jeu de lumière apporte une dimension mystérieuse, mais l’ensemble n’a rien de spectaculaire, et peut laisser sceptique au premier abord. Et pourtant, traversée dans son ensemble, hors de la foule du vernissage, l’exposition dévoile le sens de la cohabitation de deux œuvres que rien a priori ne rapproche, celle de Jean-Luc Blanc et celle de Michel Blazy, si ce n’est le partage depuis une quinzaine d’années d’un atelier. Le point de départ peut ainsi sembler fort anecdotique, puisqu’elle est avant tout issue d’une affinité née sur les bancs d’une même école, la Villa Arson, dont les deux artistes sont sortis diplômés avant de partir sur Paris, et de se retrouver dans la même galerie. Le hasard sans doute fut relayé par des motivations plus profondes, sans qu’elles ne soient de l’ordre de l’évidence. Tout oppose de prime abord ces deux œuvres, l’une enracinée dans le vivant, détournant avec amusement des matériaux pauvres et éphémères, tandis que l’autre prend ses sources dans la grande histoire de l’art, celle de l’art du portrait et de la peinture à l’huile.

Le risque était grand que la force visuelle des œuvres de Michel Blazy ne vienne dissimuler celle plus complexe, plus conceptuelle, des peintures de Jean-Luc Blanc. Or il n’en est rien, et c’est là la grande réussite de cette exposition. Les toiles de Jean-Luc Blanc, portraits énigmatiques, surannés, nous attirent et nous retiennent dans l’expectative face à des visages que l’on ne reconnait pas, bien qu’ils nous semblent déjà vus (les sources des images sont puisées dans les medias, dans le cinéma, dans des manuels). Les toiles s’imposent avec force, nous imprégnant de leur ambiance passéiste, témoignant du souci de Jean-Luc Blanc de continuer à peindre, à produire des images qui prennent leur temps, et témoignent d’un temps. Mais l’effet nostalgique un peu trop évident est contrebalancé par la légèreté des œuvres de Blazy, jouant elles avec la temporalité du devenir, celle qui va permettre aux larves de coléoptères d’attaquer les baguettes de pain. Le squelette humain à tête d’oiseau qui trône au milieu est loin d’évoquer l’angoisse de la tombe et de la mort : il s’amuse plutôt du regard que l’on porte sur l’histoire de la peinture à travers les tableaux de Jean-Luc Blanc. L’un des tableaux d’ailleurs s’est décroché et pend contre un mur dans l’indifférence générale. Si on peut se laisser prendre par la force des portraits, certains restent volontairement dans l’ombre, exposant leur propre vanité.

Au fond, une vidéo se déclenche par intermittence : on y voit un chien construit à partir de gâteaux en forme d’os assailli par des souris. La forme s’écroule vite, sans surprise. Mais cette action se produit de nuit, dans l’atelier collectif, et on pense évidemment aux toiles et aux sculptures qui seront les prochaines à tomber sous le grignotage des souris. Une collaboration avec la nature que privilégie Michel Blazy, et qui plus largement fait écho à Office Edit II (2001) de Bruce Nauman, où l’artiste filme son atelier traversé par des souris, interrogeant ce qu’il advient du lieu de la création pendant le temps où l’artiste est au repos. La question qui parcourt l’exposition y fait écho : que se passe-t-il entre les œuvres de Jean-Luc Blanc et de Michel Blazy, unies dans le même isolement, dans le même mystère entourant l’espace clos de l’atelier ? Avec un titre aussi léger et une scénographie jouant des mécanismes des divertissements populaires, ce qui est sûr, c’est que l’exposition déjoue les attentes et ne nous livre pas les grands secrets de la création, mais nous plonge avec une bonne humeur bien palpable dans les plaisirs de l’amitié.