Rares sont les expositions qui vous touchent cœur et âme et vous obligent à repenser vos valeurs artistiques et humaines. « In Silentio » de la sculptrice de tissus Jeanne Vicérial, représenté par la galerie Templon, en dialogue avec la philosophe Claire Marin au Lieu Unique dans le cadre du Voyage à Nantes est de cet acabit.
Un long couloir fait de tresses de fils blancs suspendus du plafond de la halle, nous conduit face à une double scène, à gauche une machine à tricotisser débite lentement cette filerie soyeuse. Dans l’alcôve du milieu, une gisante de tissu immaculé voit le centre de son ventre en liaison avec le ciel. Cette élévation suggère un enfantement céleste, l’élisant première d’une dynastie féminine.






Derrière le rideau de fils, ses congénères trônent en majesté dans leur blancheur tranchant sur le noir des cloisons. La verticalité impose leur stature. Elles règnent dans leur corps-habit de tissu sculpté à blanc. La forme vacille entre l’armure et l’uniforme sans qu’un genre n’y prédomine. Plus qu’humaines, ces figures pourtant hiératiques interrogent notre humanité.
Certes la plupart n’ont pas de visage, chez quelques-unes, leur coiffe cependant se transforme en masque qui nous scrute. Leur autorité nait de la rigueur de leur stature, de leur silhouette filiforme.
En les approchant, leur intérieur apparait fait de feuilles et d’éléments stylisés de nature. Comme pour en dévoiler le making of, une double station laboratoire se décline en deux vitrines, les instruments de chirurgie d’une part et les matériaux en devenir organes de l’autre.
À mieux les considérer, elles tiennent du costume militaire ou religieux, de la sentinelle et d’espèces animales hybrides ou de divinités païennes. Figures d’un défilé de mode intemporel elles paradent avec l’assurance d’un passé en souvenir ou d’un destin en devenir. Les textes de la philosophe repris sur des panneaux accrochés en kakemono prolongent cette spiritualité conquérante, ils ne sont ni glose ni paraphrase ou commentaire, mais chemins de mots comme mélodie à rythmer nos propres déplacements à leur entour :
« De ces corps sabliers
S’écoule le flux vital
Dans l’imperturbable répétition
du vivant »
Deux femmes artistes s’intègrent à cet exigeant univers pour le sublimer. Un film réalisé avec Louise Hernandez accompagne au plus près de l’atelier les gestes performant l’œuvre, leur présence délicate. Rencontrée en résidence à la villa Kujoyama Julia Cima crée avec Jeanne Vicérial, Trâme un temps de métamorphose, ou peut-être seulement les prémisses d’une longue métamorphose pour instiller dans le corps des mouvements lents et répétitifs qui explorent les notions de présence, de patience, d’humilité.
À la galerie Templon cet été, Nymphose constitue le pendant négatif d’In Silentio.
L’exposition décline toutes sortes de mutations comme formes d’éveil de la matière. Elle comporte une œuvre-hommage à Pierre Soulages « où le fil Outrenoir bien tendu sur le tableau s’écoule soudainement en vagues vers le sol. »
Dans la salle transformée en chambre intime ou chapelle sacrée, couverte de noir et aux lumières tamisées, des présences dévisagent le visiteur, silencieuses. Jeanne Vicerial tente de capturer la mue qui précède la (re)naissance de ces êtres inclassables, ces nymphes surnaturelles, mi-végétales, mi-animales. Un mur de petits « sex-voto », réalisés avec un fil unique, couleur d’encre, incrustés de pépites de bronze et d’or fin, constituent des objets-offrandes au statut énigmatique.