Dominique Mérigard, Le dernier homme

Couverture du livre de Dominique Mérigard Le Dernier homme

Dominique Mérigard
Le dernier homme

Éd. : La Grange batelière
Format : 145 x 210 mm
Pagination : 176 pages
ISBN : 979-10-97127-48-0
Prix : 18 €
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Un homme, une maison, l’histoire d’un rendez-vous « amoureux » où s’immisce, dans l’intimité de la distance et de la présence, tout un jeu photographique de la mémoire des choses et des êtres, de l’imaginaire du passé dans le présent. Les paysages sont familiers et, à son retour, teinté de l’appréhension du désir et de l’attente, de quelque incertitude peut-être, le photographe pourrait les décrire avec la précision d’une captation de l’image.

Sur la ligne droite de la départementale, en début d’été, la glycine odorante organise et rythme le mur qui a servi de fond aux photos de famille. Exploré des années après la disparition du père jardinier, le jardin cadence ses herbes hautes des couleurs d’un lilas et de tulipes, masque quelques ronces sous les fleurs du pommier, des pruniers et des cerisiers ; le décor mêlé des anciennes plantations et des vagabondes ravive l’émotion photographique d’une mère et de son enfant, d’un père et de sa petite fille, tenus dans les bras. Dans les pas du père disparu, le photographe se réapproprie l’espace, respire la relation physique à la terre, se remémore la fierté ancienne du jardin au cordeau.  

Entre l’enfance, la rébellion adolescente et l’âge adulte, la relation à la maison, bâtie par les aïeux, a basculé, du lieu que l’on cherche à fuir intérieurement et extérieurement à celui où l’on tente de ramener à la vie « les choses de peu qui peuplent chaque recoin », « mille trésors sans valeur qu’on entasse », objets oubliés d’une ou de plusieurs vies, les transformer en images, pour en faire un inventaire « à la fois réel et mémoriel », imaginer toutes les vies, connues et inconnues qui ont fait de la maison un foyer : le poêle dans l’âtre de la cheminée, la table en Formica, une vierge en céramique, une armoire, le baromètre, le calendrier perpétuel, des miroirs… la photo d’une mère disparue trop tôt pour que le photographe s’en souvienne. La chronologie se fait incertaine ; le monde des vies minuscules, de la vie tronquée, des silences de l’absence et le monde du présent, accroché aux signes du passé, ne se rencontrent pas ; les époques où le photographe cherche à se trouver se mêlent et bifurquent.

Les photographies, peuplées d’inconnus proches autant que de souvenirs, rangées dans un album de famille, initient une enquête, mais, en focalisant sur un portrait, sur un détail de l’image, en la recadrant, pour en réinventer le sens, livrent-elles les indices d’un regret – de savoir et de ne pas savoir à la fois – de n’avoir pas fait ou dit ce que plus tard on pense qu’il aurait fallu faire ou dire ?

Alors, dans l’inventaire de la maison, le photographe, dans un jeu de miroirs et de transparences, de lumières et d’obscurités, de commerce avec la vie et la mort, retourne l’appareil vers lui-même pour s’approprier l’espace de la disparition, pour mettre à l’épreuve de la mémoire les objets, forcer leur résistance à conter les blancs de ce qui a été. Le photographe et l’écrivain recomposent les scènes surgies de l’enfance et de l’adolescence. Les images inventent les mots et les mots font affleurer les images ; ensemble, assemblant les parcelles de mémoire, ils conjurent l’abandon, la perte, la disparition. Quelquefois l’insoupçonné se découvre, le mystère hésite entre révélation et voilement, ne laissant pas aux temps, comme l’image latente d’un film photographique que la lumière du jour risque d’altérer, la possibilité d’être rebattus.

Il y a dans le livre mille lectures qui se croisent, se confortent, se distancient et se rapprochent, s’unifient dans la relation fusionnelle de la maison et de l’homme, Le dernier homme, qui y a vécu, l’a quittée et la retrouve, roman, autobiographie et autofiction, enquête sociologique, questionnement sur le temps, la construction de la mémoire et la perte, interrogation sur la représentation et l’image photographique…

« Un jour, je le sais, je serai la maison oubliée. »

Jean-Marie Baldner, avril 2025