
De River of Fundament à l’œuvre d’art total
Silvia Neri
Éditions Mimésis
28 euros
ISBN 978-8869-764493
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River of Fundament est un film opéra de 2014, d’une durée de 6 heures écrit et réalisé par l’artiste et cinéaste, Matthew Barney et co-réalisé par le musicien Jonathan Bepler, son collaborateur pour le cycle « Cremaster » dès 1995. Il a été notamment présenté à la Cité de la musique à Paris dans le cadre du festival d’Automne. Il est librement inspiré du roman Ancient Evenings de l’auteur américain Norman Mailer de 1983, une interprétation provocatrice qu’il fait de l’antique Livre des Morts égyptien. Silvia Neri en étudie toutes les dimensions mêlées, après 12 ans de recherche sur l’artiste. Elle est docteure en esthétique, sciences et technologie des arts des universités Paris 8 et degli Studi de Padoue.
Matthew Barney est un artiste américain né le 25 mars 1967 à San Francisco. Travaillant avec le dessin, la photographie, le film, les installations vidéos et la sculpture, il est rapidement devenu une figure singulière du body art international.Il a fait des études de médecine, pratiqué le football américain et, diplômé de Yale en 1991, il débute dans le milieu de l’art par l’entremise de la galeriste Barbara Gladstone ce qui facilite sa reconnaissance.
Silivia Neri remet d’abord en perspective les créations de l’auteur. Ses premières œuvres s’inscrivent dans la tradition du body art où il se fait connaitre pour son cycle de cinq films, Cremaster réalisés de 1994 à 2002, dans lesquels il met en scène de manière surréaliste des danseuses, le Chrysler Building, des pilotes automobiles. C’est l’occasion pour lui de s’interroger sur la non-différenciation des sexes, les cyborgs comme humanité mutante. Ces cinq films sont esthétiquement marqués par l’utilisation de matières malléables comme le plastique, la résine, la cire.
Parmi les œuvres écologiques qu’elle étudie on se souvient aussi de son œuvre Drawing Restraint 9, de 2006. Matthew Barney et sa compagne de l’époque, la chanteuse islandaise Björk, qui en a composé la bande originale sont les deux acteurs principaux du film, se déroulant sur un baleinier au Japon.
La critique s’attache ensuite à la description de l’œuvre d’art total sujet du livre. River of Fundament, produit entre 2007 et 2012, est la résultante d’une série de performances accumulées, qui en structurent le récit. Le film suit Norman Mailer (interprété par trois acteurs au fil du film) à travers trois réincarnations , traversant les sept états mythologiques de son âme.
L’écrivain Norman Mailer se réincarne trois fois pendant et après sa veillée funèbre en trois corps distincts. À chaque réincarnation, il se réveille dans une rivière d’excréments coulant sous son appartement de Brooklyn Heights, où se tient également une cérémonie funéraire.
Simultanément, le corps de Mailer est représenté par trois générations de voitures américaines : une Chrysler Crown Imperial de 1967 (déjà présente dans la Cremaster 3), une Pontiac Firebird Trans Am de 1979 et enfin une Ford Crown Victoria Police Interceptor de 2001.
Ces trois voitures sont métamorphosées par des procédés industriels modernes de transformation et de recyclage afin de symboliser la régénération et la réincarnation de Mailer.
Au chapitre 6 la critique aborde les formes de création dans une approche de « Medium, Langage et polysémie ». Cela passe par la conception cinématographique de Barney, son évolution quant à la performance mais aussi la dimension narrative de la musique. Cette esthétique ne peut s’approcher sans une réflexion critique sur le dessin, la photographie de plateau et enfin le rôle de la plasticité des sculptures.
Dans l’avant-dernier chapitre, l’auteure étudie le mythe masculin à travers les liens à deux œuvres d’artistes essentiels comme Joseph Beuys et James Lee Byars. Du premier elle relève l’engagement idéologique et écologique. Dans le film Matthew Barney intègre même La Mort de James Lee Byars, créée en 1994 alors que James Lee Byars luttait contre un cancer incurable. James Lee Byars a pratiqué toute sa vie une « esthétique de la disparition ».
Dans cette vidéo on assiste à la présentation d’une chambre grandiose et simple, dépouillée de toute ornementation quotidienne, mais recouverte d’un or éthéré, son matériau de prédilection. L’artiste lui-même est totalement absent. Seuls un cercueil et cinq cristaux indiquent que son corps y a effectivement reposé.
Le dernier chapitre étudie « Individu, politique et société ». Il rappelle comment le récit filmique intègreégalement des partenaires sociaux comme les concessionnaires automobiles américains, les corps de tambours et de clairons, les équipes de piétinement. Le casting lui aussi contribue à cette ouverture à différents acteurs venus de champs divers de la société américaine. L’actrice pornographique Bobbi Starr joue un gérant de garage. Joan La Barbara interprète la veuve de Mailer, Debbie Harry incarne une invitée chanteuse à la veillée funèbre tandis qu’Aimee Mullins et Barney incarnent respectivement les dieux égyptiens Isis et Osiris. Tous ces partenaires transculturels contribuent à l’élaboration d’une œuvre totale, faite avant tout de performances, de références artistiques, culturelles et philosophiques revisitées.



