Ailleurs… si près, si loin…

Les photographies de Cécile Genest s’apparentent à des tableaux ; un exotisme latent sourd des images au mur, qui s’originent dans un ailleurs pourtant si proche : les berges de Loire. À leur manière, elles témoignent de l’attitude que nous adoptons parfois devant le monde ; une sorte de cécité récurrente faite de certitudes, à laquelle nous nous accrochons, qui détruit ainsi la possibilité de ce petit miracle : déceler la splendeur du monde dans les choses les plus ordinaires. Oser la beauté…

Or, elle est là cette beauté, à portée de regard, dans les photographies de Cécile, tapie dans ce qu’il faut bien qualifier de paysages, où des plantes communes peuplent des lieux à l’écart, laissés pour compte ; lierres, fougères, adventices diverses colonisent avec discrétion les rives sauvages des bords du fleuve. À moins que l’on ne puisse parler de non-paysages peut-être aussi, éloignés de l’idée du pittoresque tant recherché par un tourisme consommateur. Un tiers paysage dirait sans doute Gilles Clément. La photographe a distingué ici dans la présence discrète d’un microcosme ligérien, une luxuriance qui ne demande qu’à être révélée : devant la chambre photographique, feuillages, pétales, tiges, pistils, mousses, lichens… prennent des allures de jungle exotique dans l’œil dessillé de l’artiste.

Se dévoile alors tout un monde que la prise de vue à la chambre magnifie ; sans repères précis (pas d’échelle, pas de ligne d’horizon…) notre œil voyage à la surface du velours noir du papier où des myriades de plantes et de fleurs surgissent lentement d’un fond sombre : obscure clarté ou pénombre lumineuse, c’est selon, comme ces états intermédiaires, à l’aube ou au crépuscule, entre veille et abandon au sommeil, propres à éveiller notre conscience. La photographie, langage de la lumière par excellence revisite ici le clair-obscur de la tradition picturale. Il en ressort une poésie sereine qui nous dit qu’il y a encore matière à redécouvrir le monde sensible et à nous en émerveiller… Tout serait donc affaire de disponibilité devant ce qui est.

Beaucoup s’y sont essayés avant : on songe ainsi aux nymphéas de Monet, cette toile sédimentée parmi d’autres dans notre mémoire culturelle, qui met en résonance une approche du passé avec une démarche de maintenant. Notre regard s’inscrit alors dans le grand flux de ceux déjà portés sur le monde, sans cesse renouvelés, inlassablement mis à l’œuvre par les artistes, génération après génération.

Novalis parlait de l’éloignement infini du monde des fleurs. Cécile Genest nous en livre ici une version contemporaine et sensible. Elle nous fait pénétrer dans l’intimité d’un regard à l’œuvre : le sien, attentif, contemplatif et songeur. Son utilisation pensée de la photographie, toute au service de sa pensée, sert son propos de façon juste : elle nous tend chaque image construite à la manière d’un écrin où notre œil puisse s’ouvrir à la découverte, expérimenter et accueillir une vision réfléchie des choses. Grand format, jeux sur la profondeur de champ, composition dans le cadre au moment de la prise de vue s’y conjuguent pour thésauriser une approche singulière du monde dans la série proposée, intitulée Recife.

À bien y regarder, ailleurs, c’est aussi ici et maintenant.