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Sans titre, pas de lieu, une date, la mention de l’impression ou du tirage (jet d’encre et C-print ), le titre des séries sur la feuille de salle, des supports, des tailles et des accrochages variés, ici et ailleurs, à Marseille ou en Cisjordanie, les images, rapprochées, écartées, associées ou superposées, se répondent ; rythmé en un jeu de correspondances tissé en miroirs entre les murs du Centre, le montage photographique en questionne l’écho en multiples strates de sens.
Il y a les Personnages, cadrés en interaction des architectures qu’ils théâtralisent autant qu’ils en décadrent la perspective par les jeux d’échelle ; Les Façades, Les Murs, Les Architectures, photographiés dans leur minéralité, quelque peu trompeuse où se jouent, derrière les portes et les fenêtres closes de multiples histoires de vie, anciennes et nouvelles ; Les Roches, Les Arbres, Les Herbes, en contrepoint de la géométrie urbaine. Aboutées, collées au mur en superposition, en miroir, les images se complètent plus qu’elles ne s’opposent, dans une construction mutuelle, une continuité, une allégorie des rencontres et des traces de vie, de l’histoire et des corps qui habitent les lieux, des végétaux qui croissent dans les anfractuosités, qui peuplent les friches et Les Ruines, qui se reflètent dans les parois de verre.
Se construit ainsi, dans l’invitation à la déambulation et à la circulation du regard, un récit, à la fois attentif au singulier et générique, des multiples formes et des imaginaires de l’abri, de ses significations et de ses configurations dans un régime du présent où l’exclusion, économique ou guerrière, frappée d’invisibilité ou noyée dans le flux des images d’actualité, fait évidence et banalité ; une pensée des temporalités et des reconfigurations permanentes de l’espace, du paysage et du couvert, des expériences de l’environnement, protecteur ou non. Dans la partition photographique où le montage travaille les associations et les interactions, s’ouvre ainsi une multiplicité de points de vue, se trame un récit mobile de l’image et de l’entre-images.
Projeté en boucle dans la petite salle, le film Porte d’Aubervilliers (2020, 16 mm, 20 min) rejoue la composition scénographiée de la présence et de l’expérience du corps dans le paysage, de la relation à l’environnement minéral et organique, des dominations et du besoin de l’abri ; il invite à ré-observer et à repenser les gestes du quotidien, de la rencontre et de l’insertion urbaines sous les contraintes urbanistiques et architecturales de l’économie financière dans le rythme chorégraphié d’une traversée documentaire et poétique du quartier parisien en reconfiguration permanente où seules les herbes sauvages semblent en demeure.
Au pas dansé d’une errance au son de la voix off et de la musicalité rehaussée des bruits mêlés de la ville, Mathilde Lapostolle, avec lenteur, attention et précaution, en éprouve, en danseuse, la réalité physique, les aspérités et les rugosités, les espaces en mutation, en déshérence ou en attente. Dans le frôlement de l’image, le texte de Caroline Sagot Duvauroux semble chuchoté, comme si la voix essayait de percer l’harmonie bruyante de l’environnement, entre sirènes, sonorités de la circulation, éclats de chantiers et de paroles envolées. La mémoire et l’histoire du quartier, peu à peu, se font une place, résonnent dans la pathologie du paysage, les lieux et les non-lieux, les vacances et les architectures en négation de l’ancien, les bouleversements et les abandons où le refuge et l’hospitalité cèdent la place à la spéculation.
Quelques réminiscences visuelles, comme le garage du petit train de Montmartre, quelques lieux alternatifs, et ce qu’on voit n’est déjà plus ; l’entrepôt artisanal n’est plus qu’archive sous l’action des grues, des bulldozers et des plans d’un architecte célèbre, et le fauteuil en décharge urbaine devient refuge pour la danseuse. Il incombe alors à l’image, dans le plaisir du tournage, toute la potentialité de nourrir et d’activer l’imaginaire d’un autrement.
Valérie Jouve, Le monde est un abri, commissariat Nathalie Giraudeau et Valérie Jouve. Centre Photographique d’Île-de-France, 107, avenue de la République, Cour de la ferme briarde 77340 Pontault-Combault, www.cpif.net/, exposition du 11 février au 14 avril 2024.
Valérie Jouve est représentée par la galerie Xippas (Paris, Genève, Punta del Este), www.xippas.com/artists/valerie-jouve/.
Valérie Jouve, éditions Flammarion/CNAP, 2022. Photographies de Valérie Jouve. Textes de : Valérie Jouve, photographe et cinéaste, Morad Montazami, historien de l’art, éditeur et commissaire d’exposition, Michel Poivert, historien de la photographie et commissaire d’exposition.