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Katrien de Blauwer « Les photos qu’elle ne montre à personne »

 Katrien de Blauwer
Katrien de Blauwer
A travers une édition 2022 des Rencontres de la Photographie d’Arles, très dense aux multiples thématiques et approches, où l’arbre est à l’honneur. (ce sur quoi je reviendrai) mon écritporterasur un coup de cœur rencontré à Croisière (un des lieux des Rencontres) pour une photographe sans appareil Katrien de Blauwer. «  Ce que déterre Katrien de Blauwer dans ses images en noir et blanc c’est l’archéologie d’une ambiguïté. Cette ambiguïté du désir, elle ne la barre pas d’un coup de cutter rageur  : au contraire, elle l’intéresse. Elle la travaille au maximum. Elle l’affine, la rend coupante  » (Philippe Azoury). «  Ce que déterre Katrien de Blauwer dans ses images en noir et blanc c’est l’archéologie d’une ambiguïté. Cette ambiguïté du désir, elle ne la barre pas d’un coup de cutter rageur  : au contraire, elle l’intéresse. Elle la travaille au maximum. Elle l’affine, la rend coupante  » (Philippe Azoury).

« Les photos qu’elle ne montre à personne » est la rétrospective d’une artiste belge, Katrien de Blauwer : elle cadre des « prises de vue » avec une paire de ciseaux, un art photographique sublimant la sensualité féminine et témoignant des rapports homme/femme. En cinq salles, l‘exposition située dans le rez-de-chaussée d’une maison aux murs repeints en fonction des séries témoigne de la force de cette artiste du « cut », par l’inscription dans la durée et se renouvelant sans précipitation. Le plus difficile dans la création est de durer pour un artiste et Katrien de Blauwer réussit ce tour de force sans voyager, en restant à sa table de montage.

Chaque série est une part d’elle, inconsciemment ou consciemment, et pourtant nous nous projetons dans ces images faites à partir d’archives de magazines en noir et blanc des années 20 à 70 (en majorité des années 60-70) que « la photographe » recompose et biffure d’une ou deux couleurs primaires. Nous sommes éblouis par la scène créée en si peu, comme un lapin pris dans la lumière des phares d’une voiture, la nuit. Dans la salle 2 peinte en bleu layette, la série « when I was a boy » (2017-2018) est née de son adolescence. Jusqu’à sa puberté, Katrin de Blauwer est éduquée comme une petite fille. Quand sa poitrine et ses hanches se sont dessinées pour définir une silhouette féminine, sa grand-mère a décidé de l’élever comme un garçon : pantalon, cheveux courts (etc.) et aussi dureté de caractère, absence d’empathie (ce que sa grand-mère prenait comme des traits de caractères masculin) et qu’elle évoque par la prédominance dans cette série de ce bleu pastel. Cette série témoigne de l’ambiguité du regard et de l’identité, tout en dégageant comme dans beaucoup de ses « cut », sensualité, voire érotisme.

Pour plagier Denis Roche (« je photographie, donc j’écris »), « elle photographie, elle écrit », « elle découpe, elle photographie », « elle colle, elle monte comme un chef opérateur de cinéma » … dans lignée du Néo-réalisme italien ou de la Nouvelle vague, en plus sereine et silencieuse. Le noir et blanc de ces années-là se retrouve dans ses montages : une esthétisme vintage attractive pour le regardeur actuel. Toutefois, comme le souligne Philippe Azoury dans l’excellente préface de l’ouvrage éponyme de l’exposition édité par Textuel, Katrien de Blauwer agit par soustraction et non addition, et a dans ses cartons plein d’archives découpées du Stern, Times, de Paris Match, et autres revues, autant d’images « orphelines », non utilisées car trop « publicitaires », trop hollywoodiennes, car elles sont trop séductrices sans intrigue, peu « exploitables », muettes (mises au rebut). 

Dans un couloir (je ne me souviens plus de la couleur du mur) sans retour, une impasse, face à face, elle a accroché ce qu’elle appelle des polaroïds « She won’t open her eyes » - sous-titrée Fake polaroids - 2021. Des « découpages » à l’aspect bricolé et griffés d’une couleur (rouge, bleu, jaune (cette dernière couleur, elle la déteste pour la symbolique)) au format d’un polaroïd, comme autant d’instants pris sur le vif. J’imagine son geste, rapide, concis et déterminé comme un coup d’ongle manucuré. Un déclic : la coupe. Un instantané réfléchi en amont.

Puis, une autre salle peinte en bleu nuit, où se cotoient « she won’t open her eyes » sous-titrée Sleeping beauties et Dreams et la série « Dirty scenes » (2019). La confrontation des deux séries, une onirique, voire romantique (ce terme elle le bannirait sans aucun doute) composée de visages sans regard, de chevelures, de nuques et une plus crue avec une omniprésence de corps nus, seins et fesses renvoyant à la contradiction humaine des sentiments, des passions et de la sexualité (terme à utiliser avec prudence dans son travail car tout n’est que suggestion malgré le titre très direct). Comme si « La confusion des sentiments « de Stefan Zweig avait inspiré Katrien de Blauwer. Ici, je me rappelle en 2019 ayant discuté avec elle sur « Why I hate cars » aussi à Croisière, que cette série lui avait été dictée par le donjuanisme de son père. Il avait de belles voitures et passait beaucoup de temps avec de belles inconnues dans des chambres d’hôtel lors de ses voyages professionnels. « En mémoire de mon père bien-aimé (1938-2021) » termine la publication « Les photos qu’elle ne montre à personne ». Or, « Dirty scenes » serait-ce la continuité après les voitures, les chambres d’hôtels ? Quelques reproductions agrandies de « montage/cut » originaux sont présentées comme celle que j’intitule « La Lune est bleue comme une orange » accrochée au-dessus de la cheminée dans cette pièce (La Terre pour Paul Eluard / la Lune pour Katrien de Blauwer, la nuit les chats sont tous gris). Ces tirages sont bien faits mais nous perdons les sensations de l’assemblage manuel sans artifice autre que le découpage, collage et ombrage dû au léger décollement du fond du cadre…). C’est sans doute la première fois que je découvre ces reproductions (ils sont peu nombreux, ils ponctuent chaque salle par leur grand format comme « END » dans la première salle. La couleur rouge est pour Katrien de Blauwer… chut.

Et pour finir, la dernière salle est peinte en blanc, la boucle est bouclée, la sortie est à l’entrée, dix ans de créations : elle présente la dernière série « Commencer » (2020-2022) avec un accrochage en constellation, alors que jusqu’à maintenant le regard s’alignait dans des droites, une par une. Katrien de Blauwer brouille les pistes comme ses récits que nous prenons pour des fictions, mais ce sont autant de fictions intimes (nous nous les approprions car les yeux ne figurent jamais, découpés, ou le visage vers le bas, nous nous projetons dans son montage, nous imaginons, nous rêvons, nous fantasmons, nous vivons…). La première salle est peinte en blanc, comme si la dernière salle et la première ne faisaient qu’une… après avoir rencontré les « bleus ». Tout tourne.

Dans ce court écrit, je me suis efforcé de ne jamais employer le terme collage par respect de l’artiste. « Ne dites surtout pas à Katrien de Blauwer qu’elle fait des collages  : «  Disons que je suis une photographe sans appareil. La coupe est comparable chez moi au déclic de l’appareil photo  », ce sont les premiers mots à l’entrée de l’exposition. Respect. Ne parler pas non plus de graphisme ou de design, sa pratique a une dimension artistico-thérapeutique qu’elle partage avec nous et pour notre plus grand plaisir (déjà le mien) même si elle en parle difficilement et avec grande pudeur. Ce qui différencie, c’est l’intention : tous les monochromes ne sont pas identiques, du fait de la sensibilité et de l’intention de l’artiste. Le hasard a fait que cette année, dans le flux d’informations, j’ai zappé son « petit déjeuner » (discussion avec le public) à Croisière le samedi matin de la folle première Semaine des Rencontres d’Arles. J’étais contrarié. Katrien de Blauwer m’a dédicacé “You Could At Least Pretend to Like Yellow” réalisé pendant le confinement en 2020 (magnifique ouvrage, Libraryman, où ses montages sont reproduits recto-verso, pour la première fois) et nous avons échangé en anglais (elle ne parle pas français ou très peu, elle l’écrit) une dizaine de mots et un gribouilli (elle demande à chaque lecteur de laisser aussi une griffure sur son livre « « Why I hate cars » comme un don/contre don à la Marcel Mauss, une réciprocité). Les regrets tombés, une semaine après, avec la canicule suffocante, je me dis « finalement tant mieux » … il restera encore plein d’histoires à découvrir ou pas de sa vie, de ses « photographies », et de ses futures séries … que je n’écris pas dans ce texte (embrouillé à certains moments).

PS : il n’y aucune légende et titre de séries dans l’exposition, avec le livre éponyme, j’ai reconstitué le puzzle.

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