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9 Evenings : Art, Theatre & Engineering : une première mondiale !

  • vendredi 3 avril 2009
Robert Rauschenberg, Open Score, 14 et 23 octobre 1966 9 Evenings : Art, Theatre and Engineering - De 2009 à 1966, du 27 mars au 12 avril 2009, Institut d'art contemporain, Villeurbanne © Blaise Adilon
Robert Rauschenberg, Open Score, 14 et 23 octobre 1966 9 Evenings : Art, Theatre and Engineering - De 2009 à 1966, du 27 mars au 12 avril 2009, Institut d’art contemporain, Villeurbanne © Blaise Adilon

L’institut d’art contemporain de Villeurbanne présente, en partenariat avec le Centre Pompidou un projet inédit : une exposition de films relatant une série de performances qui se sont tenues du 13 au 23 octobre 1966 au 69th Regiment Armory de New York, 9 Evenings : Theater and Engeneering. Ces œuvres sont le fruit d’une collaboration intense et égalitaire entre des artistes plasticiens, danseurs, musiciens, et des ingénieurs et marquent les véritables débuts des rapprochements entre art et technologie. Les techniciens étaient tous issus de Bell Telephone Laboratories et les artistes étaient, entre autres, John Cage, Lucinda Childs, Öyvind Fahlström, Robert Rauschenberg, Robert Whitman… La majeure partie de ces films est l’œuvre de l’artiste Alfons Schilling qui avait notamment tourné quelques-unes des performances des actionnistes viennois.

L’Institut d’art contemporain
 est situé au 11, rue du Docteur Dolard
, 69100 Villeurbanne
, tél. : 04 78 03 47 00
, Fax. : 04 78 03 47 09. Il est ouvert au public
 du mercredi au dimanche, de 13 heures à 19 heures. 9 Evenings : Art, Theater and engeneering. De 2009 à 1966 John Cage, Lucinda Childs, Oyvind Fahlström, Alex Hay, Deborah Hay, Steve Paxton, Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, David Tudor, Robert Whitman, exposition du 27 mars au 12 avril 2009.


Espace interstitiel

Ce qui surprend le plus dans cette présentation de 9 Evenings à l’Institut d’art contemporain, rendue magistrale en ce qu’elle permet de montrer un film par salle et donc offre la possibilité de se projeter sans réserve dans l’espace de la performance, c’est que ce qui semble faire l’objet des performances est moins un propos artistique déterminé qu’un ensemble d’expériences nouvelles. Et elles sont nouvelles en un triple sens. D’un côté il s’agit d’une première dans l’occupation d’un espace par des artistes, car cet espace est entièrement autre que celui de la galerie ou du musée en ce qu’il a été conçu et construit pour la performance à l’intérieur du célèbre Armory. D’un autre côté, il s’agit à chaque fois d’une mise en scène et en acte d’un projet et donc de l’expérimentation de gestes. Enfin, ces gestes sont comme écartelés et c’est bien ce dont les images rendent compte avec une précision chirurgicale, entre un accomplissement non joué et une intentionnalité implicite due au fait qu’ils ont aussi réalisés en sachant qu’ils allaient être filmés. L’imbrication de l’art et de la technologie a pour conséquence de produire un « espace » d’un genre particulier et qui n’est ni celui dans lequel la sculpture prend habituellement place, ni celui de la réalité quotidienne, mais un espace interstitiel qui trouve dans le devenir image de tout à la fois la preuve de son existence et le mode même de cette existence.

Rencontre du non humain

Il est évident que ceux qui ont « vécu » l’une ou l’autre de ces soirées ont fait une expérience que les films aujourd’hui présentés ne rendront jamais. Mais ce qui importe ici, c’est le fait que ces œuvres ont été conçues en fonction de la mise en place de nouvelles relations expérimentales entre la vie et les technologies d’une part, la vie et les images de l’autre. Car en 1966, l’emprise des appareils et des images n’est pas encore installée sur nos existences. Aujourd’hui, c’est par contre le cas. Et ce que nous permettent ces projections, c’est de mesurer l’écart qui existe entre ces gestes qui relèvent en quelque sorte du balbutiement et les nôtres installés déjà dans l’habitude. Plus exactement ces 9 Evenings sont un véritable laboratoire où les relations entre ce qui relève du non humain et qui est porté par la technologie et ce qui relève de l’humain, commencent à tisser de nouvelles connexions. En fait ce à quoi nous assistons, c’est à un total changement de paradigme. Ce qui autrefois relevait du non humain appartenait à la nature ou au divin. Aujourd’hui, ce qui nous parle de ce qui n’est pas l’homme est à la fois le résultat d’inventions humaines et le fait que ces appareils nous permettent de nous projeter dans des dimensions soit qui n’existaient pas soit qui étaient inaccessibles à nos sens. Ainsi, dans l’œuvre de Robert Whitman on peut voir une situation impossible dans la réalité et pourtant tout à fait exacte quant à la réalité d’une nouvelle donne perceptive. Une voiture semble avancer dans un sens et au-dessus d’elle on voit un avion à réaction en train de voler à basse altitude et l’un et l’autre restent superposés sur l’image. Ceci est à l’évidence fictif et pourtant cela traduit avec précision ce qui est en jeu ici : la confrontation entre l’impossible devenu réalité, par exemple les grandes vitesses ou les infra-sons et le réel devenu fiction, par exemple d’obéir à des ordres absurdes qui obligent à repenser l’espace comme c’est le cas dans la pièce d’Yvonne Rainer ou encore de faire naître des images des sons eux-mêmes en tant qu’ils sont transformés par des ordinateurs en ondes, comme c’est le cas dans l’œuvre de David Tudor.

Gestes

Mais ce qui touche le plus au-delà de la qualité des images d’Alfons Schilling, c’est le fait que ce que nous voyons dans ces films, c’est une sorte de devenir nouveau des corps. Chaque geste même s’il est banal ou connu comme de jouer au tennis ou de transporter un objet d’un point à un autre devient, dans cette situation, un geste nouveau. Ce n’est pas le geste qui est nouveau évidemment, mais bien sa densité, sa consistance, et son but. Ce qui est en train de changer sous nos yeux, et l’œuvre de Lucinda Childs à elle seule pourrait nous en convaincre, c’est que les gestes que nous accomplissons sous la gouvernance de la technologie de pointe sont des gestes qui ne visent plus à une efficacité ou à une intentionnalité humaine mais à une adaptation à des intentions non formulées des machines et des appareils. Ce que 9 Evenings nous donne à voir, c’est ce changement de paradigme irréversible qui voit la forme même de la perception prendre pour déterminant le devenir non humain de l’homme à partir des nouvelles technologies et non plus les perceptions qui nous sont jusqu’ici les plus « naturelles ». Ce que nous découvrons aussi en effet, c’est que c’est bien à un accroissement de nos possibilités que nous avons affaire ici et que l’art, encore et toujours, est cette fonction de la pensée humaine qui tend à étudier et donc à prévoir au moyen de l’imagination et d’un peu de passage à l’acte les adaptations possibles qui permettront aux hommes de reconnaître comme faisant partie d’eux des percepts qui, quelques années ou décennies plus tôt, étaient proprement inhumains. L’art n’a jamais été autre chose, mais c’est immense et essentiel, que cette exploration des espaces interstitiels qui sont apparus à chaque fois que les hommes ont découverts de nouvelles technologies ou de nouveaux instruments, comme ce fut le cas avec l’écriture, leur ayant permis d’externaliser certaines de leurs fonctions intellectuelles, mentales et psychique les plus apparemment « naturelles ». Dans ce laboratoire, c’est au commencement du passage d’une nature ancienne à une future nouvelle nature qu’il nous est possible d’assister. N’est-ce pas à cela que doivent se consacrer, au fond, tous les lieux voués à l’art, donner à vivre et à penser l’invention de ces espaces interstitiels, que ce soient ceux du passé ou ceux dans lesquels nous avançons les yeux écarquillés et pourtant en tremblant ?

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