Ce qui caractérise l’oeuvre de Kiefer c’est son gigantisme, ses excès. En témoignent la dimension de ces différents ateliers en Allemagne, puis en France, à Barjac comme à Croissy- Beaubourg où dans d’anciennes usines l’artiste circule à vélo tandis que ses toiles comme ses sculptures sont déplacées sur des roulettes par ses nombreux assistants. Pour finir une toile du fait de sa hauteur il utilise une plate-forme élévatrice , tandis que d’autres oeuvres sont travaillées au lance-flamme dont l’action est arrêtée par le jet d’eau d’un autre assistant.

Ce gigantisme se manifeste aussi dans ses tours à structure carrée, dans ses avions de chasse ou dans ses sous-marins, sculptures métalliques d’engins de combat . La seconde guerre hante l’enfance des deux auteurs, de nombreux documents viennent ici révéler leurs sources dans l’oeuvre du plasticien. Architectures du régime nazi et paysages du pays ravagés par le conflit sont les sujets des tableaux de grand format. Ces sources historiques sont complétées par des archives personnelles du peintre qui sont introduites par une mise en scène plastique les insérant dans une forêt, avant qu’ils réintègrent un peu plus avant dans le film un album feuilleté par le peintre jeune joué justement par son fils. Dans le même souci de continuité et de transmission de leur amitié Kiefer enfant est interprété par le petit neveu du cinéaste.

L’histoire n’est pas le seul moteur de l’oeuvre plastique, la littérature et la philosophie y jouent un rôle essentiel . Une série d’oeuvres est consacrée au philosophe allemand Martin Heidegger (1889 - 1976) notamment un grand livre d’artiste qui transpose sa sympathie pour le régime nazi en une forme de cancer du cerveau.

Un autre couple fameux est présent dans le le film à travers de longues citations poétiques qui se veulent approches critiques d’oeuvres picturales importantes de Kiefer. Paul Celan, (1920 - 1970) poète et traducteur de nationalité roumaine et de langue allemande, naturalisé français en 1955 a entretenu une relation amoureuse avec Ingeborg Bachmann, (1926 - 1973) poétesse, nouvelliste et romancière autrichienne.Leur poésie minimaliste accompagne le peintre et sa création.

Au carrefour de l’Histoire et de la littérature les sources mythologiques sont opérantes dans beaucoup de protocoles et d’oeuvres peintes ou sculptées. Le film s’ouvre sur une séquence tournant autour d’une robe de mariée en plâtre installée dans la nature, elle est ce corps féminin d’abord sans tête puis que l’on retrouve dans d’autres versions de la série y compris avec des livres en plomb. On peut y voir une incarnation de Lilith qui dans les légendes juives répandues depuis le Moyen Age est présentée selon l’alphabet de Ben Sira comme la première femme d’Adam, avant Ève. Une version filmée ensuite avec à la place de la tête une structure métallique de mappemonde la révèle comme femme-univers. On la recroise dans différents ateliers de l’artiste comme sa messagère accompagnée d’un champ susurré et d’une musique d’inspiration baroque. Elle entre aussi en synergie avec les anges Uriel , Gabriel et Michael, autres entremetteurs de l’oeuvre.

Un puissant dialogue s’établit aussi avec deux artistes essentiels , Wenders nous rappelle avec des documents d’époque que Kiefer a été l’élève de Joseph Beuys à Dusseldorf . C’est ainsi qu’il s’est trouvé l’un des premiers à mener des performances publiques dans l’uniforme de la Wermacht de son père en faisant le salut nazi pour appeler ses compatriotes à ne pas faire l’impasse sur leur passé. Il a partagé également son engagement écologique en affirmant picturalement son besoin de paysages ressourcés. L’autre influence artistique revendiquée est celle de Van Gogh notamment dans toutes sortes de tableaux avec des tournesols. Le cinéaste clôt son film sur une vue en contre plongée du peintre en fil de ferriste avec une longue tige de tournesol en guise de balancier, avant de rejoindre dans la nature l’enfant qu’il a toujours été. A ses côtés, dans le couchant, une sculpture réduite à deux ailes nous remémore une croyance dans le rôle des anges au service de la recréation d’une peau réconciliée du monde.