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Du reste, cette pièce vidéo de Sue-Élie Andrade-Dé s’appelle Rain. Comme un clin d’œil au film de Marcel Broodthaers où la pluie en tombant efface les mots que l’artiste écrit sur une feuille de papier, à ceci près qu’ici, rien ne s’efface, rien ne fait tache, tout se conserve. Ce sont des mots qui tombent du ciel, s’assemblent anarchiquement peut-être mais faisant bloc tout de même.
Au tout début du film, des signes avant-coureurs avaient annoncé un tel déluge. Sur l’écran, un long rectangle blanc apparaît de la même proportion que les phrases qui vont lui succéder, et comme elles, chute. Puis d’autres rectangles, plus courts ou pas mais tout aussi massifs s’empilent les uns sur les autres de manière désordonnée pour n’être qu’à la fin qu’un tas de formes blanchâtres où l’on reconnaît à peine les limites de chaque bloc entreposé qui, par lente capillarité, se transforme en pavé de mots. Et au moment même où ce mur devient lisible, les pans de mots coupés et les phrases tronquées se mettent à tomber. À ce moment-là, une voix récite chaque mot, chaque phrase, tel un commentaire en direct de ce qui se passe sur l’écran, transformant ainsi la pluie en un poème. Le texte se donne alors à voir et à entendre à l’emplacement et aux proportions des pavés blancs qui en marquaient l’origine.
Le travail de Sue-Élie Andrade-Dé est de montrer justement les fondements et le bâti du poème, avec ses moments d’hésitation, de bégaiement même, d’instabilité. Fragilité de l’édifice quand un seul mot, (par exemple swift) se détache, bascule, rebondit et décline pour se poser un instant en équilibre instable sur l’arête d’un autre mot, et puis l’ensemble se disloque à l’arrivée d’un nouveau lambeau. L’écran tout entier devient un territoire où des paroles s’érodent rapidement au contact d’autres paroles ou au contraire se libèrent et semblent valser, seules, un instant dans l’espace tels les satellites filmés par Kubrick dans 2001 l’odyssée de l’espace. Le programme de Kenneth White dont on sait, à travers son œuvre (et une de ses phrases apparaît sur l’écran), son engagement pour une géo-poétique trouve ici un nouvel écho.
Rain nous montre poétiquement ce qu’il en est de la géographie du langage, politiquement aussi. Dans une note discrète mais décisive, Sue-Élie Andrade-Dé présente une image documentaire de la chute du mur de Berlin. Un pan du mur aux mille graffitis colorés se détache. L’histoire nous a appris ce jour-là que tout le mur s’affaissera à la fin, jetant de manière éparse sur le sol tous les slogans qu’il contenait, comme des paroles gelées qui viendraient s’animer au moment où elles chutent.