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Spirale - Labyrinthe - Cristal

Olivier Schefer Sur ROBERT SMITHSON Variations dialectiques

 Sur ROBERT SMITHSON
Sur ROBERT SMITHSON
Dans son essai, Olivier Schefer met en pratique en philosophe une histoire de l’art consciente de la complexité de son objet. Il refuse de la simplifier en se contentant de commenter ce-qui-a-été sans réfléchir rétrospectivement à ses modes de surgissement. On connaît surtout le Robert Smithson artiste de Land Art, l’auteur de la Spiral Jetty (1970). Mais n’est-ce pas réducteur ?

Olivier Schefer, qui a pu travailler sur ses archives au Smithson Institute, note que pour écrire sur un tel personnage, il faut « éviter la fausse évidence de la chronologie » et il préfère envisager le devenir de l’artiste à l’angle des possibles. Robert Smithson (1938-1973) aurait-il réalisé son oeuvre sans perdre en route des chemins qui l’auraient conduit ailleurs et amené à travailler autrement ?

Cette multiplicité à l’œuvre chez l’artiste, dont les écrits accompagnent l’œuvre plastique tout en faisant œuvre à part, fait tout l’intérêt d’une reconstitution qui examine des variantes inaccomplies avec des œuvres réalisées comme autant de « variations dialectiques » d’un parcours complexe, non linéaire, que Smithson s’était d’ailleurs lui-même amusé à cartographier.

Des dialectiques à l’œuvre

« Vous pouvez dire que mon œuvre est un désastre de l’esprit. C’est une calme catastrophe de l’esprit et de la matière » déclarait l’artiste. Première dialectique à l’œuvre, celle de la matière et de l’esprit, omniprésente chez Hegel dans son Esthétique à propos de l’œuvre d’art. Il semble insolite que cet artiste américain l’ait reprise à son compte au XXe siècle au point qu’elle lui ait posé problème. Et comme il pense philosophiquement, d’autres dialectiques s’invitent au cours de l’essai : sérieux contre ironie et humour, profondeur/surface, horizontal/ vertical, centre/périphérie, archaïsme/ modernité, évolution organique versus développement cristallin, et surtout, dans la manière qu’a cet artiste de faire-monde, une dialectique du Site et du Non site, de l’événement et de sa présentation déplacée en galerie.

On ne peut que se féliciter de la reviviscence d’une pensée dialectique dans un monde où les oppositions binaires sont omniprésentes, y compris dans le monde de l’art. Une pensée dialectique refuse que des oppositions fonctionnent comme des blocages et elle les utilise au contraire pour les dépasser en les associant, moins dans la théorie que dans la pratique. Robert Smithson fut un penseur dont les propos déconcertent : faut-il les prendre au sérieux ? Oui, car l’humour était paradoxalement, pour lui, la chose la plus sérieuse.

Il en va de même de son « évolution » en tant qu’artiste. Il serait facile de le cataloguer après–coup, mais tel n’est pas le propos d’Olivier Schefer dont l’essai reste au plus près des mouvements qui animèrent ses créations et des problèmes qui se posèrent à lui. Son refus de l’inscrire dans un seul mouvement (le Land Art) lui attribue rétrospectivement une liberté de pensée, d’action, de création, ce qui lui rend hommage en le laissant s’échapper des catégorisations. Mais Smithson, qui contestait les libérations qui étaient en vogue dans cette époque beatnik, se demandait dialectiquement s’il ne fallait pas « se libérer de la liberté ».

Ouvrir le champ de l’art

On découvre dans cet essai que les premières œuvres figuratives de Smithson renvoyaient à une mythologie personnelle qui s’inscrivait dans le « champ élargi des arts ». Ses premiers dessins, d’inspiration religieuse, exposés à Rome, ressemblaient à des icônes. Amateur de science-fiction, en littérature comme au cinéma, familier des cultures underground, Robert Smithson avait d’abord fait des illustrations en brassant des nombreuses références. Une vision élargie de l’art, allant du Pop Art à l’art minimal, l’a conduit à prendre la tangente - Deleuze aurait dit à se déterritorialiser. Sa conception du monde se concentrait sur l’entropie : il envisageait calmement la ruine de toute nos constructions, ce qui évoque l’esthétique des ruines du romantisme allemand, qu’Olivier Schefer connaît bien. Et ce qui l’écartait surtout d’une conception téléologique de l’histoire de l’art, comme celle de Clément Greenberg.

Peu d’ouvrages sur l’art amènent à se poser autant de questions que celui-ci. La figure de l’artiste qu’il évoque devient une sorte d’OVNI : on nous présente un être à part, qui ne peut que nous apparaître comme un inconnu malgré sa reconnaissance. Il peut alors devenir un allié dans nos questionnements contemporains sur la nature, sur le « monde de l’art » où le marché domine et sur le dépassement de l’art par des pratiques inventives qui interrogent sa pertinence. Sa constante inactualité et sa manière de bousculer les catégories et les genres font encore de cette figure trop tôt disparue un éveilleur.

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++INFO++

Olivier Schefer Sur ROBERT SMITHSON Variations dialectiques

La Lettre volée - collection Palimpseste, 2021

ISBN 978 – 2 – 87317 – 581- 8

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