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Situations locales et synergies européennes

La Biennale de la Jeune Création européenne 2011-2013 à La Fabrique de Montrouge

Nove Spectrum
Nove Spectrum
Cette 10° Biennale Itinérante de la Jeune Création Européenne est accueillie à la Fabrique, friche industrielle de près de 4000 m2 abritant depuis trois ans le Salon de Montrouge. Ce partage de lieu est facilité par le fait que la sélection française se trouve comme le Salon sous la responsabilité de Stéphane Corréard. Chacun des neuf autres pays participant a opéré une sélection individuelle confiée à un ou une commissaire ou pour l’Italie une désignation des artistes à plusieurs tours.

Voir en ligne : www.jceforum.eu

Pour continuer de s’ouvrir le groupe fondateur a invité cette année les Pays Bas, si c’est l’un des pays qui a favorisé majoritairement le médium peinture on ne peut dire que la sélection soit convaincante. Espérons qu’entrainé par l’exigence de qualité du reste du groupe le niveau s’élèvera lors des prochaines manifestations. De même on peut passer rapidement sur la sélection slovaque où aucune œuvre ne nous donne envie de nous attarder. Les autres pays ont joué le jeu de pratiques plus diversifiées et des personnalités s’en détachent nettement.

Du Portugal nous avons pu apprécier l’insolence des dessins de Rosa Santana et le classicisme pictural de Marta Moura dont la Vanitas joue habilement avec l’histoire de la peinture. Le corps est très présent dans les œuvres de leurs voisin(e)s espagnol(e)s. On s’y amuse des jeux en miroir de figuration « transexuelle » d’Alexandra Martorell et on accepte avec délice de se perdre dans les méandres des Limites de l’inconscient que Maria Palomeras Cros met en place dans une installation à base de laine feutrée et de photographies. Dans la sélection allemande exigeante et variée on peut s’attacher plus particulièrement aux corps abandonnés sur des surfaces industrielles que l’artiste coréen vivant à Hambourg, Hyeyeon Park décadre dans des tirages argentiques d’une réelle sensibilité.

De Hongrie nous trouvons une affinité thématique chez les deux photographes qui explorent la solitude humaine dans des zones péri-urbaines fort pourvoyeuses de situations anxyogènes . Tamas Dezsos qui aurait pu illustrer un autre livre de Marc Augé sur les non-lieux a été récompensé par un des trois prix attribués par le Jury. Son congénère Kasza Gabor aurait tout autant mérité cette distinction. Son univers onirique de pré-catastrophe joue avec habilité de situations limites mises en scène dans des lieux touchés par des évènements où la nature polluée semble toujours menacer les vies humaines qui y subsistent sur ce petit théâtre d’une écologie mal maîtrisée.

Les personnages ont complètement disparu de l’installation photographique Bathroom de l’artiste autrichienne Maria Morschitzky. Son travail de lumière qui déréalise un lieu du quotidien, ses cadrages travaillés à l’excès, et la matière de ses tirages nous entrainent cependant à sa suite comme sur les lieux d’un drame intime , pas assez spectaculaire cependant pour enrichir la rubrique fait divers. Un univers spécifiquement photographique que ne désavouerait pas Michael Hanneke. La série des Insectes de Judith Pichmuller ne manque pas non plus d’un potentiel d’inquiétude. De Vienne nous vient encore le seul travail fondé sur les nouvelles technologies, Stephan Wiesinger mêle acrylique et câbles de fibre optique pour faire vibrer son Spectrum.

Pour constituer sa sélection notre compatriote a repris plusieurs artistes repérés par des prix lors des Salons de Montrouge 2010 et 2011 : on y retrouve avec plaisir l’ambiance électrique des vidéos de Clément Cogitore (Grand Prix 2011) ou les traits forts déliés des dessins à la pointe sèche de Julien Salaud, artiste animalier (Prix du Conseil général des Hauts de Seine ). Ces petites merveille baroques dialoguent avec des trophées d’animaux empaillés qui cherchent leur version numérisable grâce à des réseaux de fils qui en généralisent les formes. Stéphane Corréard y a ajouté trois artistes de son choix plus personnel de critique. On est fasciné notamment par l’univers étrangement prégnant de la vidéaste Eléonore Saintagnan, une découverte.

Si deux pays sortent aussi renforcés de cette confrontation européenne ce sont certainement l’Italie et la Lituanie. Chacun d’entre eux a d’ailleurs vu un de ses artistes récompensé par un prix du Jury qui leur permettra de bénéficier d’une résidence et d’une exposition personnelle. Les deux italiennes partagent un même souci pour la corporalité, liée au mouvement et aux attitudes. Serena Zanardi mêle avec sensibilité une statuette de jeune fille ( qui évoque un peu Balkenhol) à un fond vidéo dont le flou appelle la présence d’une vie joyeuse et toute proche de la nature, tandis que Marta Mancusi dans une facture dessinée plus classique approche une grammaire gestuelle qui pourrait nous permettre de relire des chefs d’œuvres néo-réalistes. Cesare Bignotti de Gênes a vu sa courte et efficace vidéo Nove Spectrum plébiscitée par une récompense justifiée . Revisitant et actualisant la vieille rumeur anthropologique des photographes voleurs d’âme il met en scène dans un parking souterrain un homme –polaroïd qui en s’emparant des traits du visage d’une jeune femme les fait disparaître à jamais – jolie fable sur la dépersonnalisation dans nos sociétés.

De la sélection lituanienne se détachent trois œuvres fort différentes mais toutes attachantes Algirdas &Remigijus Gataveckai nous confrontent à des dessins représentant deux hommes plus grands que nature tandis qu’entre eux, au sol, la trace unique de deux pieds sur une serviette semble évoquer une gémellité que les deux frères nous invitent à partager. Les portières de voiture de Severija Incirauskaite subissent une customisation au point de croix d’un bel effet aussi décoratif qu’ironique. La dernière artiste récompensée par un prix fournit le travail sans doute le plus émouvant de toute cette sélection. La vidéaste Lina Albrikiene nous accompagne sur les remémorations de sa ville natale durant son enfance, mêlant traces de clichés et de films individuels avec des archives urbaines elle suscite un vrai travail de partage compassionnel. Vilnius from the Archives of my Childhood est un petit bijou de précision quant à l’appropriation vidéo de traces mémorielles, on peut penser à la même habileté technique mise au service du projet de deuil de xxxx dans Sœurs saintes et martyrs. Si ce n’est que la jeune lituanienne nous convie à ce deuil banalisé que nous devons tous opérer celui de notre enfance.

Sans que des travaux se confrontent directement à des situations politiques ou idéologiques il apparaît que de nombreux artistes européens avec la sensibilité propre à leur pays d’origine savent aborder des champs d’expérience qui concernent l’évolution de nos sociétés, leur déshumanisation. Il est d’ailleurs significatif qu’aucun de ces travaux n’utilise l’arme de l’humour pour dédramatiser ces situations de tensions sociétales. La leçon de cette biennale est de nous montrer que des pratiques et des esthétiques fort différentes se consacrent avec talent à ces approches d’une réelle portée artistique et humaine.

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++INFO++

Vente aux enchères d’œuvres d’artistes émergents Samedi 5 novembre à 18h sous la direction de maître Pierre Cornette de Saint-Cyr

La Fabrique 51, avenue Jean Jaurès 92120 Montrouge Métro Porte d’Orléans ou Châtillon-Montrouge Bus 68 place des Etats Unis www.ville-montrouge.fr

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