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Retour en boucle sur les paysages d’une enfance restaurée

Retour sur les paysages

Cécile Yero Strauman met en place une esthétique du déplacement qui a moins à voir avec l’histoire récente de l’art, performance, land art, actions in situ, qu’avec l’anthropologie contemporaine des populations déplacées. Curieusement elle emprunte les tactiques et supports de ces pratiques maintenant reconnues pour organiser une géométrie close du voyage.

Si l’artiste se rend dans différents pays pour exercer son art beaucoup de ses oeuvres constituent une sorte de huis clos matérialisé par une ligne physique ou mentale. Elle peut réunir les positions maximales du balayage d’un ventilateur vidéotées dans « Double » ou passer en boucle d’elle-même à elle seule. Les séries de paysages, continues ou morcelées, qui pourraient décrire un panoramique sont aussi composées d’espaces de clôture à leurs extrémités. Renforçant cette absence d’issue la plupart de ces plans sont eux-mêmes barrés d’écrans ou de grilles, rideaux d’arbres devant les immeubles de Berlin Est en modifiant l’appréhension au long des saisons, stores à lamelles métalliques des baies de train ou installation physique dans la salle d’exposition de rubans de chantier rouge et blanc. Jamais le regard n’accède directement à ces espaces urbains. La nature domestiquée de plates-bandes fleuries constitue moins un décor vivable que le trauma de l’impossible recours immédiat à la fluidité de la ville.L’une de ses récentes séries réalisée à Séoul nous donne la clef de cette géométrisation non euclidienne mais identitaire de ces espaces. Née dans ce pays il y a trente ans, elle s’en trouve éloignée, étant petite enfant, par une de ce ces adoptions dans une famille étrangère, massives hier comme aujourd’hui. Cette évolution linéaire reliant un point à un point, 2 à 2, ne manifeste que le retour écho du traumatisme : « j’ai perdu une langue et oublié 7 ans de ma vie. »

L’ouvrage qui rassemble ces images enferme encore ces paysages de Corée, eux aussi empêchés au regard, en les reléguant au verso des autoportraits, au lecteur d’en déployer l’étendue sur quatre vues pour en expérimenter la nature forclose. Le jeu des pliures instaure même une relation fractale entre ces paysages passant de la représentation pleine page à l’évocation au format contact 24X36.

Un européen pourra lire la pose majestueuse de l’artiste façon portrait officiel dans une robe traditionnelle du pays. Il faudra qu’elle lui apprenne que les couleurs comme l’usage réserve ce costume aux enfants, tandis que les cheveux relevés en chignon sont attributs de la femme. Dans ce hiatus temporel se donne à voir l’aventure personnelle, source de cette création. De même seuls les amateurs de compétitions internationales sauront identifier le poster du jeune homme en haut à gauche du cadre comme le visage d’une vedette du football coréen. Si le titre de la série mentionne la localisation du lieu de prise de vue, une ligne du métro de la capitale coréenne, il apparaît symbolique de ce dépassement , passage de soi à soi à la « ligne 3 », le tiers , cet autrea potentiel, voit sa position spatiale recouvrir celle de l’appareil-photo pour désigner au spectateur l’endroit où se poster.

Deux autres séries célèbres de l’histoire de la photographie ont le métro pour cadre, les snapshots de 1930 réalisés par Walker Evans à l’insu des voyageurs souterrains des lignes new yorkaises et les récents portraits de japonais endormis, saisis par Martin Parr, harassés au retour de leur travail quotidien. Si elles déterminent chacune un protocole, appareil dissimulé pour l’instantané et gros plan de la proximité de cette fausse intimité urbaine., l’identité qu’elles définissent demeure collective, sociale. Cécile Yero Strauman, dans la restauration de son enfance affirme son identité singulière d’artiste qui la place comme un corps remarquable dans l’histoire de cette diaspora des jeunes coréennes adoptées. Elle rejoint ainsi les pratiques d’autres femmes artistes qui empruntent les moyens de l’auto-représentation, du journal intime sur papier ou diffusé en blog pour revendiquer plastiquement un corps politique. Elles tiennent à distance les manichéismes des générations précédentes qui ont dû radicaliser leur position pour exister et se faire entendre. Ce post-féminisme nous rappelle que la pratique consciente et cultivée de l’image, liée à des attitudes héritées de l’exigence des sciences humaines constituent la puissance subtile de ces nouvelles fictions documentaires.

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++INFO++
  • Exposition « Line 3 »
Centre Culturel Coréen du 10 au 31 janvier 2007 2, avenue d’Iéna 75116 Paris Tél : 01 49 09 00 25 06 25 06 35 72
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