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Piotr Klemensiewicz, faire advenir la peinture, autrement.

Piotr Klemensiewicz
Piotr Klemensiewicz
Piotr Klemensiewicz a expérimenté depuis quelques années un procédé nouveau dans la genèse de ses créations picturales. Il s’agit de peintures exécutées à l’acrylique sur tirage numérique mat pigmenté. Par manière il rejoint le groupe composite des artistes pratiquant la « peinture sur ... ». Parallèlement ces productions récentes présentifient une autre figure récurrente de diverses pratiques artistiques contemporaines : la valorisation d’un effet d’écran. Tout au long de ce texte nous examinerons les effets induits par ces parti-pris plastiques en prenant appui sur les œuvres présentées jusqu’en décembre au Musée de Salagon à Mane (Alpes-de-Haute-Provence) sous le titre : terrestre (paysages).

Voir en ligne : http://www.documentsdartistes.org/a...

Il faut s’approcher des œuvres pour voir la double présence de la peinture et du fragment résiduel d’une image photographique. L’image imprimée antérieurement est souvent difficile à identifier même s’il reste des indices permettant de distinguer les paysages champêtres (comme dans cette exposition) ou urbains (comme une autre série réalisée à Berlin). On peut dire que le photographique occupe les marges mais aussi qu’il encadre la peinture. Le peintre a choisi de masquer une large partie centrale du support, remplaçant un pittoresque visuel descriptif par un travail pictural où s’affirme une facture abstraite. Dans la salle annexe on peut examiner des plus petites compositions abstraites sans supports photographiques. Il s’agit de recherche et d’essais destinés à trouver les bons gestes pour les peintures extérieures. Celles-ci, réalisées sur aluminium avec de la peinture polyuréthane, ont été installées dans les jardins sur des tréteaux bas, obliques. Orientés selon différentes directions, ces œuvres accrochent la lumière et la renvoient, elles changent de teintes suivant les heures du jour et la météo.

L’artiste n’est pas resté insensible au charme tranquille des paysages entourant le Prieuré de Salagon, assez semblables à ceux qu’il fréquente quotidiennement (ses territoires personnels passent par Dauphin et Ongles). L’espace photographique devient un espace d’attente réaliste, un lieu de mémoire, sur lequel le travail créatif de Piotr Klemensiewicz consiste à matérialiser progressivement un nouvel écran abstrait.

Les peintures installées sur les murs de l’église du Prieuré de Salagon invitent à la déambulation. Les caractéristiques de ces œuvres poussent le visiteur à s’arrêter devant chaque « station » picturale pour bien ressentir leur présence complexe et leur stature. L’exploration se fait bien sûr par le regard mais s’éprouve aussi corporellement. Le visiteur se mesure à cette surface-peau auquel l’artiste a donné des qualités sensibles et une présence identitaire, propre à solliciter corps et esprit.

La genèse de la peinture obéit à une série de choix personnels. La sélection de la photographie d’abord qui doit témoigner du réel sans sophistication esthétique. Une série de décisions sont prises dans l’action picturale sans qu’il y ait nécessité d’une formulation des raisons à chaque fois. Chaque image est retravaillée jusqu’à prendre forme, jusqu’à devenir une figure autonome, un pseudo sujet. À partir des images de paysages vus, l’artiste découvre et impose ses propres signes. La couleur est un outil qui sert autant à montrer qu’à cacher. Elle dépend de facteurs multiples. Une teinte repérée dans la photo peut être un point de départ comme semble t’il pour NBT – Terrestre, 2017. La dominante colorée de l’image antérieure s’avère parfois un facteur déterminant. La matière couleur impose une facture et les gestes d’exécution génèrent à leur tour de nouvelles formes. Dans plusieurs peintures, l’écran supérieur, celui qui vient en avant, est constitué d’un assemblage de pseudo carrés presque égaux. (NBT – Horizons, 2017 et NBT - Jardins, 2017) Ceux-ci rappellent le travail de l’artiste sur ses encriers au milieu des années 1990. Mais cette fois les petits accidents de l’exécution sont favorisés ; la non géométrie des figures est susceptible d’activer d’autres significations, d’autres sentiments.

Travaillant sur des images en peintre, l’artiste est attentif à l’échange permanent entre ce qui fait image et ce qui fait peinture. La gageure présente dans ses créations est que le peintre doit réussir à imposer ses marques de factures personnelles sur une image photographique dont il est aussi l’auteur. Le support de l’œuvre n’est plus un subjectile neutre (page blanche, toile vierge) mais un élément fortement caractérisé, susceptible de soutenir le dialogue avec les gestes picturaux suivants. Bien que largement retravaillée l’image initiale reste un constituant actif qui révèle les parentés et les écarts avec les apports des couches supérieures.

Depuis 2010 les recouvrements d’images marquent chez Piotr Klemensiewicz une volonté d’hybridation de différents médiums. Cette image préalable mécanique apporte de la précision et une qualité de matière lisse propre à créer des contrastes avec l’autre image, peinte celle-là manuellement et en épaisseur. Le travail de l’artiste consiste à organiser par des matières et des couleurs la présence d’une seconde surface-écran se détachant plus ou moins de la photo pour avancer vers le spectateur. La mise en place de la notion d’écran fut d’abord opératoire mais elle est progressivement devenue un concept dans cette production plastique.

Le phénomène écranique théorisé par Yves Schemoul dans sa thèse joue ici pleinement puisque nous constatons : « le jeu d’adhérence et de détachement pelliculaire d’un plan projeté ou absorbé par un autre, tout en donnant la possibilité de percevoir la pleine matérialité picturale de ce phénomène. » La perception des plans garde une certaine ambiguïté devant les œuvres de Klemensiewicz : le regardeur est amené à éprouver alternativement la superficialité et la profondeur, le parallélisme des plans conduit un jeu optique spatial d’avancées et de reculs. (NBT – Sillons, 2017 et NBT – Le Saule, 2017)

La disparition de l’image représentative permet la montée du désir dans l’économie visuelle. La photo est comme une réserve, pas un programme à suivre fidèlement, elle soutient la gestuelle d’une peinture libérée. Les désirs conscients ou inconscients peuvent alors s’exprimer. La mémoire cultivée de l’artiste peut donner libre cours à des parentés multiples avec le champ de l’art : la juxtaposition des pseudo carrés que l’on retrouvent dans plusieurs créations peuvent être vus comme un discret rappel de certaines œuvres de Paul Klee, à moins que ce ne soit une référence aux nuanciers (la série des Farben) de Gerhard Richter.

Ces grandes photographies de paysages installés sur les murs de la chapelle auraient eu tendance à pratiquer des ouvertures dans ceux-ci. Le travail pictural réinstallant un plan frontal épais et opaque retrouve de possibles parentés avec les espaces verticaux des murs. Les assemblages des pierres blondes quadrangulaires des murs et du sol de l’église trouvent des échos dans les assemblages de carrés déjà évoqués. Là où les pierres assurent la planéité de l’architecture, les variations de teintes installées par l’artiste dans ses reprises picturales matérialisent différents niveaux spatiaux tant pour les carrés peints que pour les dégradés des bandes colorées.

Le procédé peinture sur photo se répétant favorise l’émergence de l’idée du nécessaire dépassement de l’image dénotative du paysage. Même partiel cet effacement est fondamental pour qu’advienne le tableau. L’œuvre endosse le souvenir d’une perte. Dans ce repentir généralisé, il ne s’agit pas d’effacer toutes les traces, bien au contraire le travail de l’artiste est de faire venir en avant celles qu’il choisit. L’une des spécificités de cet écran de peinture est de s’assumer comme tel. Ce cache ajouté montre et efface. Dans cette série de créations le peintre nous dit tout à la fois « j’efface » et « j’ai face ». C’est par un effacement conduit qu’il affirme sa qualité d’auteur, son autorité. Au XXIe siècle on ne peut plus se contenter de peindre sans penser, d’oublier l’histoire de la peinture. Peindre aujourd’hui c’est nécessairement repeindre. Dans l’exécution de ces peintures sur photographie Piotr Klemensiewicz cherche pour lui et pour le spectateur le moment révélant, le moment de la prise de conscience que quelque chose de nouveau peut maintenant arriver.

(1) Yves Schemoul, La question de l’écran, statut du support de l’image dans la peinture et la photographie, Université de Provence, 2010, tome 1, page 83.

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