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Mouvements secrets des images fixes / Incarnations

Expositions à la Galerie municipale Jean-Collet de Vitry-sur-Seine

La nuit des visages
La nuit des visages
"S’il est convenu de considérer que toute photographie est liée à la mort par le simple fait que ce qui est saisi dans un instant n’existe déjà plus l’instant suivant, j’ai toujours préféré voir dans la photographie un moyen de réapparition, de revenance, de reconvocation, de résurrection, d’éternel retour." Alain Fleischer

Voir en ligne : https://galerie.vitry94.fr/

Une ou deux expositions ? Au rez-de-chaussée de la galerie, Mouvements secrets des images fixes invite le visiteur, à travers trois œuvres réactivées d’Alain Fleischer, à faire l’ expérience spatiale et temporelle de l’apparition et de la disparition des images, de leur frontière entre ce qui est vu et ce qui ne l’est pas. En parallèle, le premier niveau de la galerie accueille Incarnations. Dans une mixité entre numérique, multimédia, photographie et performance, sont présentées les œuvres de Shirley Bruno, Junkai Chen, Noé Grenier, Mathilde Lavenne et Baptiste Rabichon, réalisées lors de la formation du Fresnoy, autour du "rapport au corps dans son incarnation ou sa désincarnation". Deux catalogues, mais, en sus du lien fort que constitue le Studio national des arts contemporains à Tourcoing, la même et différente quête de l’apparition, de la présence comme absence, là des regards et des visages de disparus qui fixent le visiteur ou qu’il réfléchit, ici des visions et des sons qui activent l’espace et le temps, l’incorporent.

Mouvements secrets des images fixes

La Nuit des visages (1995). De grands tirages cibachrome contrecollés sur aluminium accueillent le visiteur, des visages de femmes, au temps de leur jeunesse, reproductions en diapositives de médaillons des sépultures de cimetières italiens, projetés sur des éléments du paysage, bâtiments, arbres…, et re-photographiés. Ces portraits, comme celles dont ils sont l’image, sont prédestinés à disparaître : "Les cimetières meurent aussi", la nécropole devient lieu de promenade ou champ archéologique. Réapparues, revenues, les images re-saisies expérimentent la nuit et s’ouvrent, dans de multiples rendez-vous fantomatiques, à une nouvelle vie entre rêve et réalité, à une narration entre présence et absence, à une histoire entre réel et fictif et à des correspondances entre lumière et ombre qui n’ont pas été dites.

Le Regard des morts (1998) répond à une commande du ministère de la Culture et de la Communication, pour la célébration, du 80e anniversaire de l’Armistice de la Première Guerre mondiale. Quelques centaines de cuves, sous lumière inactinique, posées au sol, contiennent de l’eau comme bain d’arrêt. Dans chaque cuve baigne un tirage photographique révélé mais non fixé, le regard recadré sur les yeux grand ouverts vers l’objectif, d’un soldat de la Première Guerre mondiale, "des regards fixes dans des images fixes, non fixées", une dernière communication entre le photographe et ceux qu’il photographie. Laboratoire ou crypte, l’installation évolue entre révolu et devenir, une "prémonition" analogique de l’homme et de son image. Les regards aveugles des disparus, de toutes nationalités, dont l’image en sursis, menacée par la lumière, se détache peu à peu de son support, se désagrège, semblent présumer, oxymore impudique de destins croisés, la disparition de ceux qui regardent leurs images, en voie elles-mêmes de dissolution.

À la recherche de Stella (1995). Plongé dans le noir, le visiteur perçoit d’abord dans une "litanie de noms", les faisceaux lumineux de projecteurs et une tenture sombre qui absorbe la perte des images projetées, visages de femmes des années 1930, reproduits des médaillons sur les tombes de cimetières de Rome et de Venise. À l’aide d’un miroir, le visiteur convoque et réactive ces portraits de revenantes au gré de ses déplacements. Il capte les faisceaux lumineux chargés d’images, modelant l’espace, les réfléchit vers les murs, le sol, le plafond. Il cadre les apparitions sur un visage ou plusieurs, peut-être à l’appel d’un nom, d’un prénom, présents d’ailleurs ou de nulle part. Explorant les différentes modalités de la reproductibilité technique de la photographie, Alain Fleischer engage la transparence de son support et de la couche de sels d’argent et convoque les propriétés de "revenance" de l’image, de sa réapparition par projection en d’autres lieux et d’autres temps, sur des écrans à constamment réinventer.

Incarnations

Shirley Bruno inscrit le conte haïtien, Tezen, le poisson amoureux, dans la région de Jacmel. Il y est question, entre mythe, histoire et philosophie animiste, documentaire et fiction, d’eau pure, des contraintes et des sous-entendus du quotidien, de la solitude et de la volonté d’émancipation des jeunes filles tenues par leur famille et chaperonnées par leur frère, de la respiration et des sentiments de la faune et de la flore, de l’amour : plans fixes, à hauteur d’œil des humains ou des animaux, et la nature, personnage principal, comme possibilité de l’homme, conversations sans paroles et refrain d’une étreinte impossible, "Tezen bon zanmi mwen, zen / Tezen nan dlo, bon zanmi mwen, zen". Voyage dans l’imaginaire de l’image, le cliché d’une plage, dans le fichier image converti en texte, Baptiste Rabichon inocule les lettres d’Emma (2012), l’horizon brouillé parcouru par trois lignes horizontales, trace maritime de l’amour manqué. Une plage, autre peut-être et semblable, il glisse dans le ressac le tirage négatif d’un portrait (Encore elle, 2016). Plan d’ensemble avec sédiment d’image inverse, l’épreuve chromogène négative, très grand format, est prise d’une caravane transformée en sténopé. Lecteur de Flaubert et de Proust, Baptiste Rabichon expérimente les fusions et les "frictions entre négatif et positif", argentique et numérique, figuration et abstraction, pour donner à voir dans la qualité et la couleur des images ce qui est pressenti ou ressenti. Neuf écrans en arc de cercle : sur chacun d’eux, en boucle, les fragments, champ contre champ, de la séquence étirée, en noir et blanc, de Charade de Stanley Donen : la poursuite d’Audrey Hepburn par Cary Grant dans le métro parisien et la bande sonore d’Henry Mancini amplifiée en jeux rythmiques du métro, le slogan publicitaire qui donne son titre à l’œuvre de Noé Grenier. Derrière les écrans, une série de led éclaire et masque les fractions du dispositif. Les frontières brisées des modalités de représentation et des médiums, de la citation et son exploitation étendent le regard dans l’embuscade, spatiale et temporelle, d’un engrenage de regards croisés et suspendus. Un trouble montant de la perception, porosité entre céphalée et création, Triomphe des douleurs, rompu par le noir.

Correspondances de Wang Wei (Le Torrent aux Chants d’Oiseaux) à Charles Baudelaire, Junkai Chen invite le visiteur, tout à la fois acteur, spectateur et auditeur, à une expérience synesthésique de cultures mêlées. Le dispositif, qui peut être réapproprié par les visiteurs, est composé d’instruments acoustiques (cithare, harpe, percussions), d’une projection numérique sur des pans de papier et de capteurs. L’artiste, en costume d’opéra pékinois, utilise son corps comme outil chorégraphique, sonore et pictural, pour activer l’installation, dessinant librement les deux poèmes et performer ainsi en temps réel une symphonie audiovisuelle constamment recomposée. En écho aux expérimentations de Thomas Edison qui imaginait pouvoir enregistrer des sons inaudibles et la voix des morts et à celles d’Ernst Chladni qui transcrivait les sons en formes géométriques, Mathilde Lavenne scrute l’invisible, l’immatérialité de la matière. Entre archéologie de la communication, du partage de données et problématique métaphysique, elle propose au visiteur l’expérience critique des interactions du numérique et de la matière. Sur le modèle formel du gramophone à cylindre, l’installation Artefact #0 Digital Necrophony (2016) se compose d’un monolithe de marbre noir veiné de blanc en rotation, pierre aphone aux correspondances multiples avec la mort et le divin, et d’un dispositif de captation-(re)production de fréquences, de vibrations et d’images provenant d’une possible autre dimension, d’un éventuel au-delà du minéral et du numérique.

La variété des installations, interactives ou non, autour du même champ de références sur la convocation et l’apparition des images fixes et animées, sur l’incorporation muette ou sonore, tisse un jeu de correspondances, du visible à l’invisible, entre les deux parties de l’exposition où s’affirment les potentialités du dialogue interdisciplinaire et de la mixité entre l’analogique et le numérique dans toute leur diversité.

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++INFO++
Alain Fleisher, Mouvements secrets des images fixes. Incarnations avec Shirley Bruno, Baptiste Rabichon, Noé Grenier, Junkai Chen, Mathilde Lavenne. Exposition du 19 mars au 7 mai 2017, commissariat Évelyne Artaud et Catherine Viollet, Galerie municipale Jean-Collet, 59, avenue Guy-Môquet, 94400 Vitry-sur-Seine, Sites des artistes : Shirley Bruno , Baptiste Rabichon , Noé Grenier , Junkai Chen , Mathilde Lavenne .

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