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MESSAGERE D’UN PASSAGE : CAROLINE DE BOISSIEU

Peintre française. Encres et effets diaphanes.

Caroline de Boissieu s’emploie à éliminer les contours. L’eau, les encres, la craie, le plexyglass sont ses matériaux privilégiés.

« Le monde est une branloire pérenne ; je ne peins pas l’être mais le passage » : cet aphorisme de Michel de Montaigne me revient à la mémoire en contemplant l’œuvre peinte par Caroline de Boissieu. Du noir, du blanc : cette peinture en-visage de faire des visions et des hallucinations, de la convocation des fantômes les messagers d’un passage permettant au sujet du deuil de sortir des impasses de la mélancolie. En cela, Caroline de Boissieu s’inscrit dans la filiation des grands artistes. Voir chacune de ses images, c’est déchiffrer dans le visible la présence d’une absence. « Tout discours sur l’image n’est qu’un interminable oxymore où présence et absence mais aussi ténèbres et lumière, finitude et infinité, temporalité et éternité, corruptibilité et incorruptibilité, passion et impassibilité ne cessent de permuter leur sens et d’échanger leur place. Voir l’image c’est accéder dans le visible à ce qui le déborde et le vide à la fois. Le visible ne contient pas l’infini, le visible est trace, vestige d’une présence incommensurable. Le visible est déserté par ce qu’il montre. Voir une image, c’est accéder à la béance du visible au cœur du visible lui-même, c’est proposer au regard l’immanence d’une absence »1.

Techniquement, l’œuvre s’emploie à éliminer les contours. L’eau, les encres, la craie, le plexyglass sont des matériaux privilégiés par Caroline de Boissieu. Leur conjugaison orienterait a priori le contemplateur de son œuvre vers des horizons culturels plus lointains : réminiscences chinoises, empathies diverses....Un transport, dirait-on, nous rapprochant néanmoins d’un peu plus près de ce que la pensée européenne a emprunté au vocabulaire de la lumière depuis Aristote : je veux parler du diaphane. Grand concept opératoire de l’esthétique, le diaphane sert non seulement à définir la naissance des couleurs, mais détermine plus largement la compréhension du rôle et du statut accordés par une pensée, jamais éteinte, à l’image – seuil de la lumière et passeur de l’être invisible à sa révélation sensible. On l’aura compris : de par son dispositif, l’œuvre de Caroline de Boissieu me fait irrésistiblement penser à l’art du vitrail.

Mais écoutons le langage d’Anca Vaciliu : « Le diaphane est quelque chose sur quoi bute la conceptualisation ; ce n’est pas un corps ; il n’a pas de quiddité propre ; sans être non plus un élément il est une « nature » semblable à l’eau et à l’air, contenue en eux sans s’identifier à chacun d’eux ni même à l’une de leurs parties ; il s’étend aux objets visibles eux-mêmes. Lieu et acte à la fois du phénomène lumineux, il fait que les couleurs sont perçues par l’œil et avec elles les choses. Le point aussi qu’il faut retenir, c’est que la notion de diaphane introduit celle du milieu, d’intervalle, d’intermédiaire – en un mot de ce qui s’interpose entre un objet perçu et un sujet percevant, en telle sorte pourtant qu’il les relie l’un à l’autre »2. Et qu’entrapercevons nous dans cet espace intermédiaire de l’œuvre ? Cet inter-dit que dévoile l’artiste ? La frêle silhouette d’un(e) enfant ; signe récurrent d’une peur produisant un arrêt, un suspens des opérations imageantes pour pousser le terrifié sur les rives sans bord d’un monde irreprésentable qui n’a pas de nom.

N’est-ce pas cette peur là que Caroline de Boissieu met en scène par la convocation d’une image, celle de la destruction des Twin Towers, le 11 septembre 2001 ? Cette démarche, au-delà de la référence qui est celle de l’aéropolitique, devenue une cosmopolitique de la stratégie anti-cité3, revient à interroger pour l’artiste et pour nous-mêmes le corpus des images de la catastrophe. Les interpréter, c’est poser un regard sur les notions de strate, de figure et de déterritorialisation en ce que l’origine et le devenir de ces images ne font qu’un. En d’autres mots, Caroline de Boissieu entretient moins un rapport à l’histoire qu’à la mémoire. Elle nous en révèle des bribes sensorielles, une mosaïque inchoative de visions instantanées qui s’enchaînent l’une après l’autre pour faire naître l’image, une temporalité exquise et fugitive propre à ce qui l’affecte.

1-Marie José Mondzain, Homo spectator, Paris, Bayard, 2007, p. 48 2-Anca Vasiliu, Du diaphane, Paris, J. Vrin, 1997 3-Paul Virilio, Ville panique. Ailleurs commence ici, Paris, Galilée, 2004

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