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Marlene Dumas, The Image as burden

Marlene Dumas, Hierarchy, 1992 Huile sur toile, 40X55 cm
Marlene Dumas, Hierarchy, 1992 Huile sur toile, 40X55 cm
En collaboration avec la Tate Modern de Londres et le Stedelijk Museum d’Amsterdam, la fondation Beyeler accueille une exposition consacrée à Marlene Dumas. Plus de cent toiles et dessins sont présentés, témoignant du travail de l’artiste de ses débuts à aujourd’hui.

Voir en ligne : www.marlenedumas.nl

La politique de l’intime

L’œuvre de Marlene Dumas est politique, en ce sens premier qu’elle choisit des images d’actualité témoignant de tous les drames du vivre ensemble et qu’elle leur donne, par ses peintures, une nouvelle visibilité. Ainsi découvre-t-on dans The Widow, Pauline Lumumba poitrine découverte, portant le deuil de Patrice Lumumba son époux, figure majeure de la lutte pour l’indépendance du Congo belge. Dumas renoue avec la peinture d’histoire, ses scènes de groupe et ses grands formats horizontaux. Le peintre serait celui qui enregistre les faits marquant de son époque, et fait de ses toiles une mémoire collective. Pourtant la mémoire de Dumas n’est pas seulement une retenue sélective qui pointe les temps et les lieux de l’oppression, elle abjure la hiérarchie entre la géopolitique et l’intime, invite à considérer que la grande histoire n’est qu’affaire de gens parcourus d’affects. Ce basculement s’opère au mieux entre le portrait de Ben Laden baptisé familièrement Osama et celui de son fils intitulé seulement The Son of. C’est le lien filial qui interpelle Dumas, l’humanité du personnage célèbre.

Le passage s’effectue également en contresens, de l’intime au politique, lorsque Marlene Dumas représente le corps féminin. Snowwhite and the Broken Arm, révèle une jeune femme nue offerte aux regards concupiscents des hommes habillés qui l’entourent. Nouvelle mariée mise à nu par les célibataires, cette blanche neige est un réifiée par les regards extérieurs. Le bras de la jeune femme quitte la perspective du corps, c’est le bras cassé du titre, celui qui tient un appareil photo qui indique que le régime de la représentation du corps féminin est amené à changer. Dans Hierarchy, une femme à la poitrine pendante et aiguisée chevauche un homme dont on ignore la face. Dumas a beaucoup représenté le corps féminin, allant de la sensualité à la trivialité profonde des chairs qui se montrent. Une petite salle rassemble ses toiles les plus érotiques et notamment Miss Pompadour et Fingers, deux représentations qui rappellent le mythe de Baubô dévoilant sa vulve à Déméter endeuillée pour lui indiquer la voie de la génération. La série des Magdalena donne mille formes au corps de la pécheresse pardonnée et nombreux sont les nourrissons et jeunes enfants qui hantent l’œuvre de Dumas que l’on devine parcourue par la problématique du genre.

Le seuil de la couleur

Si l’image est un seuil, comme le note Georges Didi-Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, en reprenant la parabole de la porte dans Le Procès de Franz Kafka, les toiles de Marlene Dumas ne sont pas seulement porteuses de signification par le choix des images peintes, par le choix des sujets évoqués, elles le sont également par l’emploi des couleurs. Si l’on considère l’ensemble des peintures exposées, il semble évident que Marlene Dumas emploie une gamme colorée où les couleurs froides et notamment les bleus dominent l’ensemble, ou plutôt donne le ton à sa palette. Le constat est d’autant plus frappant que la fondation Beyeler accueille simultanément une exposition consacrée à Paul Gauguin. Les jaunes ambrés et les roses chatoyants du Tahiti de Gauguin résonnent étrangement avec les bleus engorgés de blanc ou étouffés de carmin de Dumas.

L’artiste revendique une forme de dualité dans l’usage des couleurs où le froid et le chaud seraient comme deux modes de l’existence, entre raison et passion. Cette poétique de la couleur apparaît dès The Painter, œuvre datant de 1994, marquant de sa présence fantomatique la première salle du parcours d’exposition. Plus grand que nature, un jeune enfant, dont on devine le sexe féminin, se tient en pied, face à celui qui l’observe, le regard est creusé de noirceur, la bouche torve est définie par un tracé répété. La chair de l’enfant oscille entre le rose sable et le bleu gris. Seules les mains, comme recouvertes de sang, sont maculées de rouge sombre tirant vers le bleu nuit. Cet enfant aux mains sales, au visage cireux, dépourvu d’innocence, au vu du titre, est une incarnation de l’artiste à l’œuvre.

L’expression de la figure

Cette dualité est aussi celle du désir et de la frustration. Au départ de chaque peinture, il y a une photographie. Marlene Dumas ne travaille pas avec des modèles vivants mais avec des images, celles de l’actualité, celles du cinéma, celles de l’histoire de l’art, celles qu’elle produit dans le cadre familiale, puisque The Painter prend sa source dans une photographie de la propre fille de l’artiste lorsqu’elle était enfant. Dans une salle sans issu, repliée sur elle-même comme un émouvant laboratoire, une vaste vitrine présente avec intelligence des images à partir desquelles l’artiste a travaillé. Au mur figure la série, Great Men, fresque de portraits rendant hommage à d’autres créateurs, et notamment Pasolini, Bacon, Wilde.

Parce que Marlene Dumas travaille à partir d’un document saisissant une partie du réel et qu’elle dérive ensuite, on peut y voir une forme de désir mimétique à l’égard de cette réalité première. Néanmoins le résultat est très éloigné du point de départ et si l’artiste réalise des portraits c’est le plus souvent au prix d’une ressemblance qui ne s’en tient pas à la seule apparence. Parmi les tâches de peinture qui rendent les traits incertains, on reconnaît Pier Paolo et Suzanna Pasolini, on reconnaît Rainer Werner Fassbinder, on reconnaît Amy Winehouse. Dumas laisse triompher l’expression d’une personne, l’aire qu’il prend malgré lui comme le reflet d’une intériorité devenue surface lisible, reproductible, obscène. Suspendus entre proximité et étrangeté, les visages de Dumas demeurent énigmatiques, en témoigne la face bouffie qui compose For Whom the Bell Tolls, réalisé en 2008. Bien qu’il y ait l’expressivité des chairs, il semble aussi que les visages des êtres ne soient que des combinaisons hasardeuses dans la grammaire des formes. Ainsi la diversité des faces et de leur structure abonde sous le geste de l’artiste. L’exposition Man Kind présentée en 2008 à la galerie Paul Andriesse à Amsterdam réunit des portraits d’hommes. Chacun a son visage. Le visage de l’autre homme celui qui m’appelle selon la parole lévinassienne et que je dois me refuser à objectiver, prend ici mille traits, mille façons qui jamais ne seront limités à ces seuls traits parce que l’artiste dévoile toujours un ressenti qui anime la figure.

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