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Manifesto of fragility, 16ème Biennale d’art contemporain de Lyon.

Les biennales se suivent et ne se ressemblent pas. 


 - Kim Simonsson Moss people
- Kim Simonsson Moss people
Manifesto of fragility, ainsi s’intitule la 16ème Biennale d’art contemporain de Lyon, prévue initialement en 2021 : la pandémie a obligé à reporter d’un an son existence. Finalement, ce report a permis aux deux commissaires invités, Sam Bardaouil et Till Fellrath, accompagnés de l’équipe de la Biennale d’approfondir leur thématique et surtout les questions de monstration et d’organiser trois parcours irriguant la métropole de Lyon, une biennale aux enjeux territoriaux permettant la découverte des lieux culturels lyonnais et villeurbannais.

Voir en ligne : https://www.labiennaledelyon.com/

La seule biennale d’art contemporain en France se tient à l’automne dans la 2ème ou 3ème ville française. Parcourir l’ensemble de la 16ème Biennale irradiant le territoire de la Métropole de Lyon nécessite d’arpenter, de se promener, de flâner, de découvrir ce territoire et ses merveilles en plusieurs jours. Le dépliant de la Biennale est symbolique de cette volonté : c’est une carte de la Métropole avec les réseaux de transports et les lieux de la Biennale. Sans doute, c’est une des réussites de cette édition : la Biennale ne se limite pas à un lieu extraordinaire et des lieux traditionnels comme le musée d’art contemporain mais s’ouvre sur une déambulation urbaine. Après la Halle Tony Garnier et La Sucrière, maintenant l’usine Fagor-Brandt constitue la friche industrielle urbaine investie depuis 2019 pour la culture et l’art. A la différence de la Biennale de 2019, où le visiteur avait un sentiment d’errance, perdu dans un vaste open space où étaient posées des créations sans nouer de possibles réceptions intimes, un effort de scénographie avec des échafaudages recouverts de bâches blanches rend la visite agréable à l’usine Fagor-Brandt. Le visiteur dispose ainsi d’un itinéraire dans ces vastes hangars dédiés autrefois à la fabrication de machines à laver et autres électro-ménagers : des capsules d’émotions sont envisageables.

Les commissaires ont choisi de confier à un seul artiste deux hangars, dont un s’avère magistral, peut-être un des « clous », le memento mory d’un artiste belge, Hans Op de Beeck (titre de son installation « we were the last to stay »). Le visiteur découvrira une autre œuvre de cet artiste au 2ème étage du musée Gadagne avec une vidéo. Ils ont aussi décidé d’ouvrir des bâtisses attenantes aux hangars pour montrer des artistes libanais queer, trans et homo. 
Des copies de chefs d’œuvres antiques du Musée des moulages de l’Université de Lyon 2 et des toiles avec des pansements (papier Japon) issues de la collection du musée des hospices civils de Lyon se mélangent aux créations contemporaines… rappelant que l’art ne nait jamais d’une tabula rasa comme certains le souhaiteraient et évoquent cette fragilité par le plâtre et l’absence de conservation ou d’entretien. Précarité de l’œuvre mal entretenue et mal conservée des siècles passés, au milieu de créations bien présentées pour satisfaire les galeristes et les collectionneurs qui soutiennent tel ou tel artiste. Les artistes exposés aux Usines Fagor se retrouveront en filigrane dans les autres lieux : ritournelle de l’effet de mode actuel des Biennales que de disposer des créations du même artiste sélectionné dans le parcours. D’une Biennale : que retenir ? des créations qui vous ont plues ? agacées ? touchées ? irritées ? Pourquoi celle-çi et pas celle-là ? C’est pourquoi, ce propos se limite à l’ambiance de « manifesto of fragility » et peut-être à quelques créations citées à cause de la subjectivité. Une critique est un point de vue, difficile de faire autrement.

Au sortir de la bouche de métro Debourg, avant de se rendre aux usines Fagor, en longeant la ligne de tramway, il est possible de percevoir un Ricochet posé dans l’œil vitré d’une architecture d’Henri Gaudin (ENS de Lyon) d’Aurélie Pétrel (œuvre de jeunesse de l’artiste réalisée en 2009). Le Labyrinthe « minuit chez Roland, 31 décembre » sur les traces d’une française à travers son carnet des années 50-60 retrouvé par Aurélie Pétrel se dresse aux usines Fagor et aussi dans l’espace public d’un parking souterrain en plein cœur de la Presqu’île. Et un clin d’œil de l’artiste est posé également face à l’étendue d’eau du parc de la Tête d’or devant le chalet où d’autres créations sont installées, certaines très inquiétantes comme celles de Nina Beier. Le travail de cet artiste constitue en quelque sorte un fil rouge territorial reliant le Nord et le Sud … Sans doute, le fait que l’un des deux commissaires invités soit libanais (et la sélection témoigne de la fragilité d’un pays meurtri actuellement, de Suisse du Moyen Orient à l’endettement incroyable causé par les guerres et la corruption) et qu’Aurélie Pétrel, lyonnaise, s’est attachée à ce pays bien avant la nomination de ces commissaires et surtout sa pratique de manier l’image comme une sculpture peut expliquer de tels échos dans la ville.

Avant de quitter Gerland, il est prenant de s’attarder à « danser » dans l’un des pavillons de Tony Garnier (l’entrée des abattoirs disparus de Lyon), grâce à une vidéo immersive de l’artiste brésilienne Valeska Soares tournée dans un night-club conçu par Oscar Niemeyer à partir d’un ancien casino du Belo Horizonte. Direction le Musée Guimet, l’ancien muséum d’histoire naturelle, fermé depuis plusieurs années après la construction du Musée des Confluences : son état de délabrement rafistolé pour l’occasion par des planches et autres mesures de sécurité imposées pour accueillir les publics en fait le lieu par excellence de la fragilité. Pour certains lyonnais qui connaissaient le musée avec sa collection d’animaux empaillés, une énorme tristesse et une sourde colère les envahissent. Laisser à l’abandon, sans affectation… A l’intérieur, les œuvres se succèdent… quelques moments choisis parmi tant d’autres : le carnaval de Bâle de Clément Cogitore (Morgenstraich), le film d’animation sur les guerres et leurs conséquences de la réalisatrice libanaise du film « Caramel », Nadine Labaki et Khaled Mouzanar (insoutenable actualité !), l’imposante installation à l’étage sur une archéologie de notre devenir (Ugo Schiavi – Grafted Memory System) , les photographies sculptures répugnantes et attractives sur le corps féminin (dégoulinante… abjecte… et pourtant Bataille, Sade… ) de Lucile Boiron , les oeufs géants en lévitation de Tarik Kiswanson, la chorégraphie simultanée de danseurs dans un night club gay de Berlin et dans une église, « wish you a lovely Sunday » du vidéaste sud-coréen Young-Jun Tak… le palimpseste sur le mur dessiné directement de l’image du musée dans lequel elle est exposée dont la peinture s’effrite, de la colombienne Leyla Cardenas etc. Indéniablement, le Musée Guimet constitue le lieu fort, dense, riche mêlant des créateurs de toute nationalité de par sa mémoire et son délabrement fragile. Direction le musée d’art contemporain qui se transforme pour cette Biennale en un cabinet de curiosité au dernier étage avec des fictions à partir d’une héroïne lyonnaise, « les nombreuses vies et morts de Louise Brunet » et un musée d’art moderne avec « Beyrouth et les Golden sixties ». L’occasion de découvrir la création libanaise, souvent peu connue en France, les mécènes de cette création, la vie artistique et culturelle de ces années magiques par des dispositifs ingénieux de grands dos bleus collés au mur et sur une de ces grandes images, un vernissage par exemple, une toile réelle du peintre exposé à cette époque accrochée sur ce mur. Un sentiment d’hésitation entre modernité et tradition traverse en visitant les deux étages de cette exposition d’art moderne libanaise se terminant par des créations contemporaines prégnantes. La projection en cercle des bandes de vidéo surveillance avant, pendant et après l’explosion du silo dans le port de Beyrouth installée par Joanna Hadjithomas & Khalil Joreige et des images projetées avec des mots sur du verre brisé en lévitation… Autre parcours, direction Musée Gadagne. Un étage, trois salles avec une vidéo de l’artiste belge Hans Op de Beeck, et d’autres créations comme peintures de l’américaine Jesse Mockrin qui recadre, découpe dans les tableaux anciens. Cela représente un temps au milieu du musée d’histoire de Lyon si les visiteurs ne le connaissent pas, comme pour le musée des beaux-arts de Lyon où une œuvre sonore de James Webb est diffusée dans le cloitre. Déambulation dans la ville… dans la métropole, car il y a aussi l’Institut d’art contemporain avec la Jeune création internationale et l’Urdla, tous deux situés à Villeurbanne. Direction le funiculaire pour grimper sur la colline qui prie. Le musée de Fourvière est en restauration : s’asseoir dans la lumière des vitraux pour regarder la vidéo en trois écrans de Mali Arun sur l’artificialité de nos vies à travers un parc d’attraction et la copie d’un Van Gogh peinte par l’espagnol Julio Anaya Cabanding sur un carton que ramasserait un sans domicile pour le séparer du froid de la rue avant son sommeil. Découvrir ou redécouvrir l’architecture de Bernard Zehrfuss au musée Lugdunum, architecture en béton enterrée, dissimulée dans la colline pour ne voir que le théâtre romain, est un plaisir. Les créations de la Biennale sont disséminées dans le parcours archéologique et antique du musée, en descendant la spirale… Les petits lutins verts (Moss people) de Kim Simonsson inspirés des contes finlandais poursuivent les visiteurs dans chaque lieu, ici aussi au milieu de restes antiques. Se pose la question du choix de leur emplacement. Toutefois, la confrontation est source de réflexion, de créativité… Les peintures « Genitae Manae » de l’artiste italienne Giulia Andreani se réfèrent aux mythes pré-romains et « sculptes ton porc » est effroyablement d’actualité avec les cinq ans de Me too.

Une immersion dans l’ensemble des lieux de la Biennale pour saisir une atmosphère, une ambiance et sortir avec plus de questions que de réponses sur les thèmes abordés. Mais, n’est-ce pas une des richesses de l’art ? Un monde d’une promesse infini comme sous-titrent les commissaires invités leur Biennale ne réside-t-il pas dans ce tumulte de regards aussi fragiles qu’éphémères après avoir parcouru des kilomètres. Pour conclure, en deux mots : ambiance fragile.

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++INFO++
"Manifesto of fragility," 16ème Biennale d’art contemporain de Lyon. 
du 14/09 au 31/12/2022

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