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Manger les grillots avec le tac-tac

MAKE CORN BLUE AGAIN, une exposition de la Galerie RDV à Nantes

Célestial Grill
Célestial Grill
Par le bruit qui signale sa transformation une fois le grain de maïs soumis à une température d’environ 180 degrés, le pop-corn est appelé tac-tac en français cadien. De même, les grillots désignent les grains qui ont été grillés sans éclater, ceux sur lesquels on redoute de tomber lorsque l’on porte aveuglément une poignée de pop-corn à la bouche au risque de s’y casser les dents… De façon imagée, l’expression « manger les grillots avec le tac-tac » signifie donc considérer les choses comme elles sont, en prenant le bon et le mauvais. La démarche de Céleste Richard Zimmermann consiste justement à saisir, sans manichéisme toutefois, la polysémie et le polymorphisme des objets, images et situations. MAKE CORN BLUE AGAIN, première exposition personnelle de l’artiste, en est une fois de plus la démonstration. Le format d’exposition « flash » proposé par la Galerie RDV est en adéquation avec cette installation qui fait événement, moment presque aussi fugace qu’une fête, une kermesse avec son lot d’excès.

Voir en ligne : http://galerierdv.com

Dans notre imaginaire collectif, le pop-corn est associé au cinéma. L’indispensable de la séance à grignoter par cornet ou même par seau pour certains, source de mécontentement pour d’autres en raison de la pollution sonore que sa consommation suscite. Preuve en est du lien entretenu par cette friandise avec le grand écran, les recettes disponibles sur internet pour réussir son pop-corn maison « façon » cinéma. Les travaux de Céleste Richard Zimmermann sont nourris d’une approche anthropologique et sociologique, d’une documentation sur le terrain.

Ainsi l’artiste découvre lors d’un roadtrip aux États-Unis, il y a trois ans, un autre usage du grain de maïs - le maïs bleu plus précisément - dans certaines communautés amérindiennes. Parmi elles, les Indiens Pueblos qui utilisent le maïs bleu lors de cérémonies. Du rituel consumériste occidental aux rites sacrés amérindiens, le tour de force de l’installation revient à faire coexister symboliquement deux réalités qui ont pour dénominateur commun le grain de maïs. Les pratiques culinaires sont d’ailleurs chez Céleste Richard Zimmermann un angle privilégié pour engager une réflexion sur des faits et problématiques de société, à l’image de son projet The Potential Space (2016) articulé autour du barbecue ou de son œuvre Kebabselitz (2017).

Le tapis rouge dès l’entrée et l’odeur qui embaume l’espace de la galerie restituent l’atmosphère d’un hall de cinéma. L’installation convoque en ce sens une expérience familière, vulgaire au sens étymologique du terme, c’est-à-dire « qui concerne la foule », « générale », « ordinaire, commune, banale ». Suivant un processus d’appropriation et de détournement des objets, les huit auges alignées à la même hauteur contre un des murs de la galerie sont transformées en machines et distributeurs à pop-corn. La thématique du carnavalesque, chère à l’artiste, se retrouve alors appliquée aux objets. Ce renversement, cette subversion de et par l’objet, conduit à une transgression en plaçant le mangeur de pop-corn en position de bête.

La gadgétisation de ces auges par l’ajout d’une lumière bleue qui émane de façon presque aussi racoleuse que la devanture du sex-shop voisin caractérise une esthétique camp, c’est-à-dire un mauvais goût assumé car significatif. La mobilisation d’un registre du magasin de farces et attrapes et l’expérience de l’artiste dans le milieu de la création événementielle et du spectacle sont prégnantes dans d’autres installations. Avec sa guirlande lumineuse rouge sang et sa boule à facettes, le Celestial Grill (2014-2016) fait la part belle à la « barbaque ». Quant aux néons de Rusty Blue (2017), ils métamorphosent une auge en cabine UV, en cercueil ou en objet futuriste. Le contraste entre une certaine durabilité des matériaux et le caractère périssable, altérable du pop-corn est un autre trait du travail de Céleste Richard Zimmermann. Le ronronnement et le crépitement des auges réveillent les appétits et annoncent, peut-être, les réjouissances…

Le titre de l’exposition - MAKE CORN BLUE AGAIN - se prête à plusieurs lectures. Il est d’abord la formule prononcée par l’insatiable, la demande d’un « encore plus » qui est aussi un « toujours trop ». La gourmandise, davantage encore la gloutonnerie érige le pop-corn en un péché que symbolise le porc, animal présent dans le bestiaire de Céleste Richard Zimmermann connotant entre autres la souillure. Le pop-corn écrasé et incrusté dans la moquette constitue à ce titre les vestiges du festin. Ces machines vomissant elles-mêmes ce pop-corn aussi aérien que bourratif provoquent une sorte de dégoût. On partage un même récipient dans lequel on se sert directement avec les mains, en somme du prêt-à-manger en libre service : cette profusion en devient grotesque. Le caractère sériel de l’installation ne manque pas de faire écho aux scandales et préoccupations liés à l’élevage intensif, en batterie. Le nourrissage ayant des répercussions évidentes sur notre propre alimentation.

L’opacité des auges dérobe à notre vue la transformation du maïs donnant par là à réfléchir sur ce que nous ingurgitons. La « magie » d’un processus pouvant se révéler autant bénéfique que maléfique ! Plus de 80% du maïs cultivé aux États-Unis est transgénique, un autre exemple de manipulation rimant cette fois clairement avec poison. De façon surprenante, le pop-corn semble également pris entre junk-food et healthy food. Le titre suggère dans un second temps l’impossible retour au bleu du maïs de départ, et ce, en dépit de la lumière bleutée qui n’est qu’un halo artificiel en guise d’ersatz à une sacralité désormais perdue. MAKE CORN BLUE AGAIN résonne enfin comme un contre-pied au « Make America Great Again » de Donald Trump, mot d’ordre qui signe une politique protectionniste, raciste, qui n’hésite pas à la confiscation et à l’exploitation des terres des Amérindiens au nom d’intérêts économiques. N’est-ce pas ce même 45e président des États-Unis qui surnommait encore récemment une de ses adversaires politiques « Pocahontas » et cela devant d’anciens combattants navajos ?

Du tapis rouge au tapis vert des tables de jeux, l’installation Indian Dreaming - Smoking Area, réalisée en 2017, repose déjà sur une mécanique faussement ludique. En effet, une boucle vidéo défilant sur trois moniteurs présente des combinaisons toujours perdantes d’images archétypales du grand Ouest américain : la roulotte, le cow-boy, l’attrape-rêves, le totem, le tipi, le shérif… Sous couvert d’un aspect festif, MAKE CORN BLUE AGAIN parvient à générer son propre malaise en mettant à profit un tandem bien huilé entre industrie du divertissement et industrie agroalimentaire. Enrobé d’une musique épique et entraînante, l’avant-programme projeté au-dessus des auges se veut un préambule à la consommation vorace des images autant qu’une invitation au passage en caisse.

Ce montage de spots publicitaires créé par Céleste Richard Zimmermann met en jeu les stéréotypes de l’indianité, en particulier à travers l’opposition sauvages/ civilisés. Ainsi dans une réclame de la compagnie Borden Dairy, le « blanc » ne semble pouvoir faire face à l’hostilité d’un « indien » armé d’une hache qu’en dégainant à son tour un bâtonnet de glace censé l’adoucir et le rendre souriant. Sur un mode cartoonesque, la boisson Kool-Aid se voit également servir de substitut au calumet en permettant à une troupe de cavaliers d’échapper à une défaite face aux Indiens. On reconnaîtra aussi Iron Eyes Cody dans une campagne de Keep America Beautiful datant de 1971. Plébiscité par Hollywood pour jouer les rôles d’Amérindiens, l’acteur y incarne un sage versant sa larme en voyant la pollution détruire l’environnement.

Du grain de maïs à l’archétype de l’Indien, l’exposition MAKE CORN BLUE AGAIN donne à voir et à goûter une culture mainstream qui aspire, souffle et explose autant les images qu’une céréale. D’une culture pop à une popped culture (culture éclatée) et vice versa.

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