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Les vrais-faux trompe l’œil de Remy Lidereau : photographe

Galerie Frèches

  • dimanche 18 novembre 2007
Pour sa deuxième programmation, la jeune et active galerie Paul Frèches - logée dans les hauts de Montmartre- propose le travail déjà engagé d’un tout aussi jeune photographe : Rémy Lidereau qui y décline une série de photographies autour du " Trompe l’œil".

Voir en ligne : www.remylidereau.com

Pour sa deuxième programmation, la jeune et active galerie Paul Frèches - logée dans les hauts de Montmartre, là où les touristes étrangers fréquentent moins les galeries d’art que le marché Saint Pierre et les peintres de gavroches parisiens de la Butte – propose le travail déjà engagé d’un aussi jeune photographe issu de l’École Nationale de Photographie d’Arles (2004) et déjà remarqué à l’exposition « ReGeneration » (2005-2007). Il est aussi d’actualité par le beau port-folio que lui a publié la revue « Photos-nouvelles » (nov 2007).

Le propos de la série de photographies couleur (2003 à 2006) présentées donc cet automne à la galerie Paul Frèches est déjà révélateur d’une pensée qui n’illustre pas un sujet mais qui le trouve dans le regard porté à la fois sur le réel proche et sur son image dans l’après coup photographique. Ici se démarque le photographe qui documente de celui qui cherche et découvre grâce à son mode d’expression propre.

En effet « Trompe-l’œil » est le fil rouge très juste et paradoxal autour duquel sont rassemblées des photographies en grand format sans pour autant que celui-ci soit toujours le même. Alors « fil rouge » pour les poètes ou concept pour les plus théoriciens, en tous les cas impression de trouble et expression d’ambiguïté devant ces vues de parcs de loisirs, de jardins ou d’espaces verts de villes apparemment anonymes – quoique certaines ont été prises à Puteaux, d’autres à Versailles ou à Bâle - bref de tout ce qui du proche quotidien nous échappe dans sa faculté de produire de la fiction, de la tromperie, et même du faux-vrai.

Et c’est là que le travail de Rémy Lidereau se dégage de cet ennui actuel de photographies à base de documentaire et à parfum de numérique qui ne font que montrer toutes la même chose, dans cette mode exaspérante du photomontage numérique plus ou moins beau ou virtuose, du jeu critique ou ludique consistant à réactualiser mais aussi à vider de sa réflexion, la technique expérimentale et contextualisée des avant-garde historiques. Alors que nombre de photographes aujourd’hui rejouent en toute innocence (ou presque car souvent avec la complicité de critiques, enseignants….), la scène du photomontage, de la fiction inventée à partir du document, certains, moins nombreux - et au sein desquels Rémy Lidereau prend place avec discrétion et intelligence - interrogent mais aussi utilisent la photographie dans ce qu’elle est en tant que technique – choix de la chambre photographique- mais aussi en tant que image et nouvelle technologie – choix du numérique – et mettent à plat, artistiquement et photographiquement, le débat théorique stérile entre argentique et numérique.

Ainsi, devant ce jardin à demi clôturé par une vraie fresque en trompe l’œil et bordé par une maison en meulière, le photographe, placé derrière la grille de cet espace oscillant entre le privé et le public, a privilégié une vue quasi frontale dont la luminosité travaillée subrepticement grâce justement à la plasticité numérique affirme et théâtralise le trompe l’œil présent effectivement dans la réalité. Mais comme le précise l’artiste, la couleur du ciel, de la pierre ou de l’herbe n’a été « qu’optimisée » et non transformée par le passage par un fichier scanné. Optimisée, c’est à dire recherchée jusqu’ à ce qu’elle corresponde à la couleur que le photographe « voit » mentalement comme étant celle de l’herbe, du ciel nuageux….. Juste une vraisemblance en dehors du temps réel de la prise de vue mais pas de facticité dans la transformation de l’espace élu dans le réel. Le photographe ne fait qu’extraire du réel ce qui « fait faux » dès que l’on prend le temps de le regarder vraiment. Et n’est-ce pas alors ici, le véritable enjeu d’un regard photographique : donner au spectateur aveugle la possibilité de découvrir ce que l’artiste lui sait saisir de son environnement.

Il y a même quelque chose de surréaliste dans la démarche de Rémy Lidereau, sitôt que l’on se rappelle de la série « bataillienne » de Brassaï avec sa série de photographies « Sculptures involontaires » (1933) extraites de l’étrangeté du banal, du laisser pour compte…. Mais le banal n’est pas toutefois l’objet des photographies de Rémy Lidereau, ce serait plutôt le trouble de l’artifice dans le réel même comme ce rail miniature de chemin de fer perdu dans une nature de parc de loisirs qui interdit le spectateur de se projeter dans cet espace à l’échelle troublante sans toutefois pouvoir affirmer par sa taille sa réelle supercherie. Car il est aussi question ici de pertes d’échelles, de déstabilisation de notre perception. Pas de personnages, pas d’humains, pour nous resituer, mais parfois un sentiment d’absence, de vide même et toujours une théâtralité oscillant entre le probable et l’irréel, le familier et l’étrangeté. Si proche et si lointain dira le philosophe…. Si vrai et si faux ajoutera le photographe. C’est à ce jeu subtil que se laisse prendre le spectateur devant l’accrochage juste et efficace d’un face à face de paysages ferroviaire ou de campagne artificialisée ?

Mais c’est de manière plus radicale aussi que le photographe peut nous plonger dans un moment absolu de déni du réel. Ainsi cette façade totalement en aplat d’un immeuble de bureaux jouxtant dans un blanc gris laiteux un autre bâtiment légèrement lui en perspective mais tellement plus petit qu’il semble plus proche de la maquette que d’une architecture réelle. Pas étonnant d’ailleurs que Rémy Lidereau se sente proche de cet autre photographe allemand Thomas Demand qui lui construit des maquettes d’architecture chargées d’histoire mais dont il laisse subrepticement apparaître les modes de construction (rubans collants…).

Rémy Lidereau ne passe pas lui par la maquette mais extrait du réel ce qui fait maquette dans le paysage et qui trouble alors son rendu photographique tant il respecte en fait la nature analogique du procédé photographique et notamment grâce au choix de la chambre photographique. Démarche quelque peu ironique d’un photographe qui puise dans le réel ce qui se donne pour faux sachant que la photographie le lui rendra bien.... car l’artifice n’est pas là où l’on croit. Il est dans la capacité qu’a un artiste de retourner comme un gant l’histoire du trompe l’œil dans la maîtrise détournée justement de son mode d’expression.

Histoire alors de (Dé) trompe l’œil comme l’écrit fort justement Olivier Sécardin à propos de cette série dont l’enjeu est moins une histoire de photographie qu’une histoire d’image photographique qui invente son propre modèle sans illustrer un sujet, qui nous rappelle ainsi que la photographie n’est pas une histoire de vérités mais juste et oh combien une histoire de relations c’est à dire de croyances toujours ébranlées entre le (re)connu et le vraisemblable. Pas étonnant alors qu’une des premières expositions à laquelle Rémy Lidereau a participé avec certaines déjà de ces photographies se soit appelée « Anticamera » comme aujourd’hui l’on peut voir des « Anti-trompe l’œil » à la galerie Paul Frèches.

Nov 2007

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++INFO++

Exposition Remy Lidereau Trompe-l’œil 21 sept-17nov 2007

Galerie Paul Frèches 2, rue André Barsacq 75018 Paris

tel : 00 33 (0) 1 53 09 21 12

mob : 00 33 (0) 6 60 40 68 54

www.paulfreches.com

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