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Les ready-made humains documentaires de Michel Schweizer

Entretien à l’occasion de sa participation aux Portraits-fantômes

Michel Schweizer Portrait-fantôme
Michel Schweizer Portrait-fantôme
Michel Schweizer au sein de sa compagnie la coma créée avec Mathieu Desseigne fonctionne dans son théâtre à vocation documentaire grâce à de nombreuses collaborations notamment avec plusieurs philosophes et aussi avec deux photographes. Il convoque et organise des communautés provisoires. Il aime ainsi mettre sur scène des personnes issues de la société civile qui ont une fonction bien repérée. Son propos hautement politique questionne le corps dans sa relation à la création et aux contraintes idéologiques.

Voir en ligne : https://www.la-coma.com/

CG Avec quels photographes as tu collaboré ?

MS Pour l’instant j’ai travaillé avec deux d’entre eux , Frédéric Démesure et Ludovic Alussi. Il y a deux niveaux de collaboration avec eux, d’abord ils documentent ce que je fais. Frédéric Démesure je l’engage sur le terrain pédagogique avec des projets de territoire. On a collaboré à l’espace Pluriel à Pau . Les photographes sont souvent solitaires, ils ont besoin du collectif, du relationnel. Ce projet s’appelait Faire monde, avec cinq collectifs de jeunes , dont il a réalisé une série de portraits les yeux fermés. Ludovic Aussi est un photographe de mode.

CG N’est ce pas paradoxal de photographier des barbelés comme des bijoux ?

MS Cela magnifie l’objet. Il me fallait trouver un photographe qui produise une esthétisation, à la fois séduisante et assez inquiétante. Sur le plateau blanc on a 4 tirages photographiques qui devaient rester lisibles. Quand je lui ai proposé d’imaginer une nouvelle génération de barbelés, il m’a suggéré ceux faits de plumes. Avec mon collègue Mathieu Desseigne, danseur, on a eu envie avec ironie en tant que créatifs d’imaginer ces nouvelles générations en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. On a travaillé avec un laboratoire à Zurich et le chercheur Stéphane Péri. Le résultat est un fil de fer en plumes, issu des données que l’on a fournies et des contraintes du logiciel , il est redoutable visuellement. Cela sous-entend deux choses, soit que l’intelligence artificielle épouse des émotions et refuse la violence des données et contraintes fournies, ou alors, à un niveau supérieur, cela suppose qu’à force on n’aura plus besoin de ces contraintes.

On vient de découvrir qu’un pépiniériste Daniel Soupe est en train de développer des barrières de séparation végétales. Il apparaîtrait que c’est beaucoup plus redoutable et infranchissable qu’une zone de barbelés. Pour le regard c’est assez tolérable mais c’est infranchissable tant au niveau du sol qu’au niveau sous-terrain grâce à un réseau de racines. On va développer une suite là-desus à un niveau ironique et cynique. Ce pépiniériste qui a des velléités de paysagiste est en train devenir son produit à l’armée.

CG Autres formes de collaborations quels sont tes rapports avec les philosophes, comme Alain Badiou, Bruce Bégout ou plus récemment Dominique Quessada ?

MS Je connaissais ses recherches sur l’altérité et la séparation ? Quand je suis tombé sur son livre Critique de l’altéricide, , j’ai eu envie de le suivre, on a pu faire connaissance et je lui ai passé une commande d’écriture de 4 ou 5 archives pour ma dernière pièce. Elles devaient être assez courtes pour être distribuées de façon sonore dans le spectacle. Je savais que cela pouvait échouer. J’ai été obligé face à certaines réactions du public qui considéraient que cela cassait le rythme dynamique du spectacle de les retirer. Ma demande était pourtant claire, pas trop didactique.On les a édité dans un programme de salle afin que le public en dispose.

A l’époque de Bleib le philosophe Dany-Robert Dufour était sur scène à coté de Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste et de 6 maîtres-chiens. Il avait des interventions courtes et très formatées ce qui rendait leur intervention très audible. Lors d’une soirée un de ses collègues du centre psychanalytique de Strasbourg avait descendu la présence de son collègue, alors que les maitres-chiens étaient capables d’entendre ce dialogue.

CG Tu avais déjà mis sur scène des archétypes féminins dans O’ Queens ?

MS Je questionnais la dimension du masculin et quelle ingérence elle pouvait avoir dans ces destins féminins. La strip-teaseuse disait que son langage corporel elle l’avait construit à partir du regard des hommes sur son corps, afin de composer une grammaire érotico-corporelle. La culturiste elle s’était formée sur la la surveillance et la validation de son reflet dans le miroir et le regard de son coach masculin. La danseuse , Sachi Noro est la fille du maître de taïchi , Noro. Danseuse classique , puis après de ses dérives circadiennes acrobatiques son moteur était la reconnaissance de son père. Un jour avant de prendre sa retraite, celui-ci a réussi tous ses disciples, il lui a demandé de faire une performance, à l’issue de celle-ci il a pu lui déclarer « C’est incroyable a file ce que tu as fait et je te reconnais ».

CG Cette présence sur scène de personnes socialement identifiées est un peu ta marque de fabrique, on avait évoqué à ce sujet des ready-made humains ?

MS Tout récemment pour Les diables j’ai travaillé avec des comédiens handicapés mentaux à Roubaix c’est un ESAT, cet établissement d’aide par le travail est le seul en France où des personnes en situation d handicap sont payées pour faire du théâtre. Elles commencent à 9h et travaillent jusqu’à 16heures. Les metteurs en scène se succèdent à leur côté. Suite à une commande j’ai travaillé avec 7 d’entre eux sur 23 et forcément là tu as un collectif qui te permet d poser d’autres questions sur le handicap. On est face à des personnalités très troublantes qui te sollicitent sur des modes d’attention assez redoutables.

CG Quel en était l’argument ?

MS Cela démarrait fort. Je leur avais proposé d’être sur scène dans une tente de chantier que tu peux voir sur les trottoirs pour des travaux urbains. Je l’avais customisée avec cet élément « Bivouac de Méritocratie Républicaine ». Obligé vis à vis d’eux je leur ai expliqué que ni eux ni moi n’appartenions pas à cette méritocratie. Cela mettait une coloration assez politique et cela se prolongeait par par une suite de propos sur la façon dont ils appréhendaient le monde. Je leu ai apporté aussi des matériaux textuels qui complétaient leurs points de vue.

CG On a parlé a ton sujet de théâtre documentaire, revendiques-tu ce concept ?

MS J’ai conscience de l’endroit dans lequel je travaille, endroit qui développe une haute condition de conception, d’écoute et de perception. Quand on est dans une sale de spectacle, le vivant qui est devant nous on est dans de bonnes conditions pour l’appréhender l’observer et le réfléchir. J’ai toujours cette nécessité, suivant les projets, de déplacer des réalités du dehors et d elles mettre sur scène pour qu’on les voit mieux et qu’on ait plus de calme pour y réfléchir. Ces lieux-là permettent que le regard s’arrête sur du vivant qui relate de sréalités du monde, d’un monde commun.

CG Mickael Phelippeau vient de t’inviter à Orléans à imaginer un portrait-fantôme. J’ai repensé au terme médical de membre fantôme. D’une certaine manière vous intervenez dans un décor auquel il manque un corps et vous prêtez le vôtre. C’est un peu le contraire de cette méthode que tu viens d’énoncer ?

MS La chance que j’ai eue dans cette commande c’est de tomber sur une maison assez peu singularisée.J’ai fait le choix de dériver et de parler de quelque chose qui est perdu. J’ai posé deux conditions à ma venue, que la propriétaire soit une femme seule et qu’il n’y ait aucun photo d’elle Quand j’arrive pour ces trois jours d’immersion cette deuxième demande n’était pas respectée et j’ai dû m’abstenir de les regarder. C’est très troublant comment tu es amené à être voyeur de ce lieu, cela te ramène à toi. Je ne voulais pas ouvrir les tiroirs et j’ai composé avec cela. J’ai envisagé un impossible hasard qui m’aurait fait connaitre cette femme et avoir partagé une aventure amoureuse avec elle. J’ai déliré notre aventure à partir d’éléments plastiques, le goût du bleu qui nous aurait mené au Portugal à la recherche des azulejos, puis à la Biennale de Venise dans une installation monochrome d’Anish Kapoor qui aurait signé notre rupture.

CG Quels aspect du travail de Mickaël Phelippeau t’ont décidé à accepter cette invitation ?

MS J’avais fait venir à Montpellier ce travail avec les danseurs bretons, tout à fait singulier . Récemment j’ai vu Lou, suite des doubles portraits consacrée à Lou Cantor danseuse baroque collaboratrice de Béatrice Massin. Il y a chez lui une grande finesse d’écriture , une grande sensibilité à capter les réalités humaines et à les écrire dans l’approche des autres. J’aime ces expériences de spectacle , souvent des petites formes inattendues. Je ne sens pas la dimension de l’égo chez lui, c’est un un artiste assez modeste.

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