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Là où danse la Rue des Arts à Toulon

Exposition photographique dans la rue. Lore Stessel et Marikel Lahana

M.Lahana/L.Stessel
M.Lahana/L.Stessel
Là où ça danse, conçue par Christian Gattinoni et Anne Cartier-Bresson, inaugure la Rue des Arts, l’espace permanent d’exposition sur les façades rénovées du centre de Toulon, avec l’œuvre de deux photographes : Marikel Lahana, diplômée, entre autres, de l’ENSP d’Arles et du Studio du Fresnoy, choisit "certains types de corps dansant, répondant à ses attractions pulsionnelles" ; Lore Stessel, diplômée de l’ENSP d’Arles, s’intéresse au processus de création, entretenant avec les danseurs "une relation plus singulière, dédiée", dans le rapport du corps au lieu.

Voir en ligne : http://toulon.fr/sites/new.toulon.f...

Là où ça danse. Le quartier réhabilité et rénové, quelques rues ont cédé la place, d’autres se sont métamorphosées, sans taire, malgré les disparitions et les effacements, leurs passés riches d’histoire, d’anecdotes et d’aventures humaines partagées, leurs frictions et leurs mémoires mêlées. L’enjeu, que l’exposition exalte, était de faire renaître un quartier dans d’autres coexistences, dans une identité urbaine renouvelée, de l’exciter par un musée de rue, hors champ du cube blanc, de la salle obscure et de la chambre noire. Là où ça danse ? Partout, dans les espaces-temps d’un penser et d’un agir libres, dans l’expression des corps à la rencontre d’eux-mêmes et des autres. La danse, fête du quotidien, n’a pas d’espace propre. Elle est moment gestuel et mouvement complice, échange sensuel et érotique, là où les corps, "franchissant les barrières de l’intime", risquant le jeu de la gravité à leur envie dans un "paradoxe dynamique", sortent d’eux-mêmes, se démultiplient, se rapprochent et s’évitent, cheminent les uns vers les autres, se touchent et se confrontent, se partagent et se fondent dans "une étreinte", un antagonisme d’égalité.

Autour de l’ancienne rue du Canon, devenue Pierre Sémard, les photographies de Marikel Lahana et de Lore Stessel, accrochées sur les murs cimaises, fanés ou rénovés d’ocres, emportent le passant dans un espace de courbure et de ralentissement du corps, un temps de basculement, de décélération du regard et des perceptions (Mathilde Monnier citée par Gattinoni 2013, 61). L’image se fait danse et engage le promeneur à tenter d’autres relations entre son intériorité et l’environnement urbain, à inventer une "parole" de son corps dans l’espace (Christian Rizzo cité par Boisseau et Gattinoni 2011, 56). Lâchant l’image achevée du spectacle, Marikel Lahana recherche un avant, un hors scène, le moment, lors des répétitions aux CCN de Roubaix (Yutaka Nakata, Carolyn Carlson) ou d’Aix-en-Provence (Système Castafiore, Angelin Preljocaj), de la performance (Links & Embody, Katia Petrowick, Sing the Body Electric), où le corps saillit de ses possibles, se tend aux limites du mouvement.

Comme une métaphore de l’histoire du quartier à l’entrée de la rue, la photographie de Marikel Lahana arrête, au croisement de leurs trajectoires en symphonie ininterrompue de pas entrelacés, les interprètes du Dance Forum Taipei, silhouettes sombres détachées de l’horizon clair du fond de scène. Comment dire "ici" ? lorsque, même réunis dans l’éphémère d’un même espace et d’un même moment, l’ici de chacun persiste en un là-bas de l’autre (Christian Rizzo). À deux pas, face à un bar qui rappelle l’appellation populaire ancienne du quartier, la photographie de Yukata Nakata active différemment la métaphore, le corps arrêté dans l’intensité d’une torsion entre tradition et modernité. Plus loin, le flou, dans une tension de la suspension du temps du corps et de la représentation, pénètre la fulgurance du geste et du mouvement (Carolyn Carlson, Le Roi penché).

Regroupées ou en alternance avec les précédentes, les photographies de Lore Stessel créent leur propre scène. L’artiste entraine les partenaires de ses prises de vues dans des lieux qu’ils aiment et des lieux qu’ils n’aiment pas, à New York, Bruxelles ou ailleurs en Belgique.

Comme Marikel Lahana, qui évoque sa complicité avec Katia Petrowick, Lore Stessel cite la collaboration du chorégraphe Wayne McGregor et du plasticien Olafur Eliasson et s’appuie sur la démarche d’Anne Teresa de Keersmakaer, transformer en chorégraphie des gestes ordinaires, et, par leur réitération, leur silence, leur abstraction en devenir, en déranger le contexte, jusqu’au mystère : "[…] c’est par mon propre mouvement de peintre que le corps apparait comme une danse sur la surface bi-dimensionnelle de la toile tendue sur châssis" (Stessel 2013, 100). Dans la chambre noire, le geste de Lore Stessel est celui du peintre, un traitement de l’image entre révélation et confection avec plages de blanc, couches superposées, hasards, taches et altérations dirigés. Mêlant les corps et les lieux comme sujets et outils, elle anime la photographie d’une performance des gestes du quotidien en danse, où comptent moins le lieu et le moment que le surgissement de la représentation à sa propre frontière. Fenêtres sur les murs de la ville, comme une parole urbaine, danse et photographies invitent le passant à expérimenter une traversée, une fête de soi et de l’autre, une rencontre des corps assumant leur singularité du champ au hors champ de l’image : "tous les enjeux du corps y sont mis en action, en interrelation" (Gattinoni 2013, 95).

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++INFO++

Là où ça danse, Lore Stessel et Marikel Lahana, Exposition photographique dans la rue, du 12 mai au 17 septembre 2017, commissariat Christian Gattinoni et Anne Cartier-Bresson, La Rue des Arts, Toulon < http://toulon.fr/sites/new.toulon.fr/files/laruedesarts_dp.pdf>. Catalogue Là où ça danse, Lore Stessel et Marikel Lahana, Exposition photographique dans la rue, La Rue des Arts, Toulon.

Ouvrages cités dans l’article : Boisseau Rosita, Gattinoni Christian (2011), Danse et art contemporain, Paris : Scala. Gattinoni Christian (2013), Des annonces faites au corps. danse et art contemporain, Auxerre : HD Précursions. Jeanne-Valès Tristan, Gattinoni Christian (2011), Danse l’étreinte, Paris : Area Descartes & cie. Stessel Lore, "Un duo de techniques", Entretien avec Jennifer Morton, in "Danser acte visible de vie", Arearevue)s(, N° 8, été 2013, pp. 100-101.

Sites des artistes : Lore Stessel , Marikel Lahana .

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