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Jean Noël, une sensibilité multi média

Jean Noël est un artiste québécois, né à Montréal en 1940 qui travaille à Paris, Marseille et Montréal. Marie Victoire Poliakoff qui dirige la galerie Pixi (Paris) a choisi pour la présente exposition (jusqu’au 14 octobre) d’organiser une mini rétrospective des œuvres de cet artiste. Celles-ci vont de 1966, pour une sculpture en bois, Troglodyte, jusque 2011 pour un Grand Dessin de la série « Charivari ». On l’entend ici : dans cette exposition non seulement les dates sont variées mais aussi les matériaux et les techniques employées.

Si certaines productions n’utilisent qu’un seul médium comme le plastique ou la fibre de verre thermoformée, d’autres pièces, les plus nombreuses, sont constituées par assemblage de différents matériaux. Par des ajustages astucieux, simples et d’apparences fragiles, l’artiste parvient à coordonner des éléments allogènes pour constituer une totalité singulière. C’est le cas pour le Cercle vicieux (2004) où quatre jambes de plastiques et de bois s’écartent gracieusement autour d’un cercle de métal. Toujours abstrait, Jean Noël est un sculpteur au sens contemporain du terme. Même si l’exposition comporte en plus du grand dessin, déjà cité, d’autres créations bidimensionnelles de plus petites dimensions, on saisit bien que Jean Noël pense ses œuvres en créateur d’espaces tridimensionnels. Sans être des dessins préparatoires à des projets, les petites créations sur papier comportent des espaces intermédiaires qui comptent autant que les graphismes et les surfaces colorées. Ce sont des dessins de sculpteur, où souvent, comme dans le Grand Dessin déjà mentionné, l’artiste cultive l’ambiguïté des espaces. Il dessine des espaces visuellement pensables mais évoquant des volumes irréalisables. L’œil se réjouit de se laisser conduire dans des impasses autant conceptuelles que visuelles.

Tout au long de sa carrière artistique, l’artiste a expérimenté divers médias comme le rapporte le petit journal de la galerie, La Gazette du Boudoir, qui lui est consacré. Il a su et sait encore se montrer critique vis à vis de certaines modes artistiques. Son mode de création lui a permis un renouvellement du rapport de l’artiste à son (ses) médium(s). Il ne pouvait se contenter d’exprimer sa sensibilité créatrice dans le cadre d’un seul médium. Il s’est donc permis de diversifier ses pratiques au travers de plusieurs champs. Dans une exposition rétrospective en galerie, les œuvres existent simultanément dans un même espace-temps alors que leur réalisation s’est déroulée par série sur 50 ans. Cette exposition rétrospective, montre la diversité des approches de Jean Noël dans l’usage de matériaux et des techniques mis au service d’une grande variété de figures plastiques. Certaines sont fermées comme ces portions de sphères rouges mais toutes (en dehors du bois peint Troglodyte, 1966) comportent un espace central vide mis en tension par les éléments entours. Il peut s’agir de volumes créés autour d’une âme vide comme le pseudo cône tronqué en fibre de verre polyuréthane rose : Trompe énormément, 1989. Le plus souvent Jean Noël procède par assemblage de matériaux qui ont successivement attiré son attention. La réunion des matériaux peut suivre des modes variés. Cela peut se faire par une parenté des formes assemblées comme dans Mer, 1979 où une lame courbe de contreplaqué, peint en bleu, se conjugue avec la circularité des tiges d’acier réunies par deux tubes de cuivre incurvés.

Une autre incitation à l’union des éléments peut être la nature semblable des matériaux rencontrés. C’est le cas dans cette sculpture aérienne qui, accrochée au plafond, survole les autres œuvres et les spectateurs. La découpe formelle des différents éléments en plastique, complétée par des jeux de couleurs transparentes ou opaques, unit dans la variété les pièces de cet étonnant mobile tout aussi poétique que les meilleurs Calder. Parce qu’il a aussi tout au long de sa carrière développé une sensibilité de peintre, les accords de couleurs sont bien entendu l’autre moyen utilisé par l’artiste pour réunir des assemblages hétérogènes sans gène. L’unité se fait sur des variations de nuances de mêmes teintes comme dans Polyèdre jaune et Mask (rose), datant tous les deux de 1997, ou dans la diversité colorée : une petite pièce, 21 cm de côté, comme Cube, 2004, est un montage hétéroclite d’arêtes plus ou moins rectilignes de bois, de plastiques, de mousses. Le tout est rendu solidaire par des vis, des épingles et de la colle. Si certains matériaux ont gardé leur couleur d’origine d’autres ont été peints par l’artiste pour une unité dans la diversité. Le titre d’une autre pièce de ce type n’est pas, lui, descriptif : Boogie Woogie (2007). Par delà l’allusion aux rythmiques répétitives du blues, on peut entendre là une mise en relation, sur le plan phonique, des allitérations visuelles et sémantiques installées par ces multiples arêtes habilement différenciées.

L’artiste élabore ses œuvres à partir d’éléments trouvés, c’est un bricoleur mais un bricoleur de génie. Les décisions sont prises pour des raisons visuelles. De la forme, de la couleur ou des matériaux qu’est-ce qui s’impose ? Aucun. Tout le travail créatif de Jean Noël est précisément de contrecarrer toute tentative de domination d’un des constituants plastiques. Si aucun des éléments matériels ne l’emporte c’est que l’essentiel est ailleurs. L’esprit de l’œuvre se situe dans le rien, dans l’espace, dans ce qui se passe entre les matériaux, entre les couleurs et dans les échanges entre formes.

Si le volume spatial, est le médium de prédilection de Jean Noël, le médium choisi ne constitue pas le message, comme le déclarait McLuhan. C’est plutôt l’intermédiaire, choisi pour permettre la mise en place de l’échange entre le producteur et le regardeur. Les créations volumiques comme celles bidimensionnelles de Jean-Noël n’imposent pas un regard passif. Bien au contraire elles appellent l’œil du spectateur à s’engager dans une exploration sensible différenciée pour chacune des créations.

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