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INEXTRICABILIA Enchevêtrements magiques

Maison rouge, Paris, 23 juin - 17 septembre

Artur Bispo
Artur Bispo
Construit sur le modèle des mirabilia des cabinets de curiosités, le terme inextricabilia désigne différents assemblages textiles – noeuds, enveloppements qui cachent un noyau secret – que l’on peut retrouver dans des cultures bien éloignées les unes des autres. L’exposition de ces objets part d’une idée de Lucienne Peiry, spécialiste de l’art brut qui a dirigé la Collection de l’Art Brut à Lausanne. Elle propose de faire découvrir des affinités entre diverses oeuvres d’art brut - dont certaines bénéficient d’une grande notorité ( Arthur Bispo di Rosario, Michel Nedjar et Judith Scott, qui lui a servi de modèle exemplaire ), d’autres moins (comme Marc Moret ou Pascal Tassini) - et des objets magiques “chargés” issus de différents pays, en provenance d’Afrique et d’ailleurs. Mais n’est-il pas discutable de faire la distinction entre “oeuvres” d’art et objets magiques ? D’ailleurs, quel est le statut des “oeuvres” d’art brut ? Tel est le propos inaugural de l’exposition.

Voir en ligne : http://lamaisonrouge.org/fr/exposit...

Des “oeuvres” d’art brut seraient plutôt des objets considérés comme tels ; et Michel Nedjar refuse, quant à lui, cette appellation en parlant de ses “poupées”. On peut aussi voir dans l’exposition une collection d’anciens reliquaires, dans la mesure où les reliques des saints sont toujours enveloppées dans des tissus et ornementées de broderies. Mention spéciale pour les amalgames de fils colorés et les noeuds votifs en provenance de Turquie : ils sont accompagnés de deux reportages vidéo prêtés par le Mucem à Marseille qui témoignent qu’il s’agit d’une pratique encore active, mélange curieux et inextricable de croyances religieuses, puisque des musulmans vont en pélerinage dans des églises orthodoxes.

Cette exposition se tient à la Maison rouge alors même que le LaM propose à Villeneuve d’Asq une exposition qui porte sur André Breton & l’Art Magique (du 24 juin au 15 octobre). Dans les deux cas, en effet, la relation de l’art à la magie questionne le statut de l’artiste et interroge les limites d’une esthétique. L’artiste viendrait rejoindre la figure ancestrale du chaman et le charme équivoque ( une attirance mêlée de répulsion ) de ces objets “magiques” repose sur leur étrangeté.

De plus, Lucienne Peiry a choisi d’introduire quelques oeuvres d’artistes contemporains comme par exemple une grande installation d’Annette Messager. L’ouverture de l’art contemporain à l’art brut qui caractérise depuis peu de grandes expositions d’art contemporain comme la Biennale de Venise cette année, où l’on retrouve encore Judith Scott, trouverait donc ici son revers. L’art brut gagne à se confronter aux objets magiques.

Ce qui rapproche toutes ces productions, c’est à la fois leurs matériaux (textiles noués, fibres végétales, fils entrelacés colorés - comme chez Judith Scott (1943-2005) qui les utilisait de manière compulsive pour emprisonner des objets en les masquant - et un art ou une manière de traiter cette matière pour lui donner une fonction symbolique : Lucienne Peiry parle de “panser, purifier, réparer et protéger” en évoquant ainsi une possible valeur thérapeutique de ces productions. La vocation cathartique de l’art rejoindrait alors la fonction symbolique apotropaïque des fétiches magiques.

Il n’en reste pas moins que les pratiques magiques s’inscrivent généralement dans un univers prédéterminé de mythes et de croyances alors que les “artistes” bruts ne construisent leurs objets qu’en écho avec leur propres “mythologies individuelles”. L’exposition part d’une idée séduisante et elle propose aux regardeurs des pistes de reflexion intéressantes. On peut regretter, cependant, que l’accrochage soit resté un peu trop sage en montrant chaque auteur séparément : cela manque d’un sens du “carambolage” cher à Jean-Hubert Martin. Mais le livre-catalogue de Lucienne Peiry, publié chez Flammarion, intéressera tous ceux qui ont le goût du mélange, de la mêlée et du mystérieux.

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