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Hier et demain

Une exposition du Lieu Unique à Nantes

Par delà l'horizon liquide
Par delà l’horizon liquide
us qu’un clin d’œil à celui qui est né à Nantes, l’exposition Par-delà l’horizon liquide se place sous le patronage de Jules Verne, auteur de romans d’anticipation. Dans une nouvelle appartenant au recueil Hier et demain, publié à titre posthume en 1910, Jules Verne se plaît à imaginer La journée d’un journaliste américain en 2889, au XXIXe siècle. Ce « et » contenu dans le titre du recueil unit et sépare, constitue un pont, cet entre-deux qu’est aujourd’hui. La référence à cette figure littéraire dans le texte d’introduction acquiert d’autant plus de force par sa juxtaposition avec l’eau-forte de Vello Vinn. L’extrémité pointue des coquillages trouve son analogie dans celle des Fusées (1971). « Projectile » à bord duquel, Jules Verne fait lui-même embarquer ses personnages pour un voyage dans l’espace : "De la Terre à la Lune" (1865). « Feu ! », donc, puisque l’exposition, aussi déroutante que la période actuelle pleine d’incertitudes, invite à porter le regard loin devant et derrière, dans l’espace et dans le temps, à nos pieds.

Voir en ligne : http://www.lelieuunique.com

De multiples horizons s’offrent alors. La conquête spatiale mais aussi l’exploration et l’exploitation des fonds marins évoquées par Kristina Õllek dans son installation Nautilus New Era (2018). Le titre est emprunté à un projet prévu pour 2019 de robots télécommandés permettant l’extraction minière en eaux profondes. Ou lorsque la science se met au service d’intérêts privés, en l’occurrence ceux de la Nautilus Minerals Inc. Les ressources naturelles et l’écologie étant de même des enjeux géopolitiques et économiques. Un éloignement par rapport à l’exécution, parfois une façon de se déresponsabiliser, présent également dans le film de Sol Archer (Dispatches from Futureland, 2015). Le port de Rotterdam, paysage de conteneurs, frappe par son gigantisme autant que par l’absence de la figure humaine. Dans ce ballet, piloté à distance, l’homme n’apparaît plus comme un maillon essentiel de la chaîne, de là les conséquences sociales.

À la déshumanisation du travail s’ajoute sa dématérialisation permise par l’écosystème numérique. Thème que soulèvent les œuvres vidéo d’Anni Puolakka et Jaakko Pallasvuo montrées dans un espace en retrait dont la scénographie rappelle l’atmosphère d’une chambre d’ado imprégnée de science-fiction. Cette même chambre où des adolescents se mettent en scène, face caméra, pour ensuite diffuser leurs vidéos sur des plateformes comme Youtube. Avec les « like », les partages et les commentaires pour récompenses de leurs efforts, certains accèdent au rang de star des réseaux et profitent d’une source d’enrichissement rapide et facile. Une existence par procuration, raison d’être fragile où l’intime se répand dans la sphère publique.

Le kitsch propre à plusieurs œuvres et la sophistication technique et scientifique ont en commun l’excès, l’outrance. Les sculptures de Nicholas Riis, bien que monstrueuses, ont un caractère familier par leur couleur pastel et leurs formes rappelant l’univers de la layette. Un mauvais goût d’autant plus prégnant dans l’installation grotesque de Simon Wald-Lasowski. Une réunion collégiale de chimpanzés savants à l’image des sommets auxquels participent les décideurs politiques, ceux qui, prétendant savoir, prennent les décisions au nom de tous. Le poids de leur connaissance, représenté par le savoir livresque, est tel qu’ils en sont écrasés. Plusieurs paires de mains leur sont parfois nécessaires tandis que pour l’un d’eux, les mains lui en sont tombées accompagnant le livre dans sa chute. Un chimpanzé, échappé de la meute, prend d’ailleurs ironiquement place, à l’écart, sur une chaise habituellement dévolue aux médiateurs...

Ce monde en mutation ne cesse de bouleverser nos repères, nous conduisant à reconsidérer certaines notions, à commencer par le vivant. Les assemblages hétéroclites de Guan Xiao (Documentary : From National Geographic to BBC, 2015) brouillent les démarcations entre le naturel et l’artificiel, l’authentique et le faux, l’ancien et le nouveau... L’installation de Guan Xiao entre en résonance avec celle de Laura Põld intitulée Prémonition (2018). Sur un revêtement composé d’argile et de roseaux sont accrochés des masques de guerriers tandis qu’au sol sont disposées des poteries. Par son titre et les éléments qui la constituent, l’oeuvre semble faire écho aux prophéties annonçant la fin du monde, une apocalypse proche. Ces récits, reçus avec plus ou moins de crédibilité, alimentent les croyances : autre point de jonction avec la foi en la technologie. Un pan de mur, formé d’un miroir, reflète l’image du visiteur affublé à son tour d’un masque de guerrier. Peut-être faut-il y voir un avertissement : des défis, sinon des conflits, seront à affronter.

Sans tomber dans le catastrophisme ou la panique improductive, Par-delà l’horizon liquide montre, avec la prolifération des images et des scenarii, la force de projection que suscite le devenir, cet inconnu. Prenant le pouls des préoccupations qui agitent la société, elle pointe les contradictions : entre l’inaction et une connaissance au combien accrue du vivant et de la planète. Les questionnements existentiels que Gauguin inscrivait jadis à l’extrémité de son tableau sont ici centraux : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897-1898).

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++INFO++

Par-delà l’horizon liquide. Visions contemporaines d’un monde en mutation, du 21 octobre 2018 au 6 janvier 2019. Le lieu unique à Nantes

Commissariat : Kati Ilves du Kumu Art Museum d’Estonie

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