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Entretien avec Alexandre Rolla sur son livre "A contre-jour"

Après, Sur le liseré des commissures, Alexandre Rolla, écrivain, historien et critique d’art publie cette année A contre-jour, aux éditions la clé à molette.

Voir en ligne : http://lacleamolette.fr/ouvrage/a

Florence Andoka -Vos deux derniers ouvrages sont marqués, j’ai presque envie de dire hanté, par la présence de deux peintres : Gustave Courbet et Jean Messagier. Il y a également des poètes, dont Matthieu Messagier qui est omniprésent. Comment se tissent dans votre écriture les liens entre ces figures ? Est-ce une manière d’inscrire votre verbe dans une généalogie, une constellation, de faire marque d’identité ?

Alexandre Rolla Je ne sais pas si je suis hanté par une ou plusieurs figures, mais pour reprendre votre terme, je pense que je suis hanté par la peinture, pas forcément par un peintre ou un autre, mais par la peinture en général, je crois qu’elle agit sur moi comme un filtre pour appréhender le monde. Quant aux artistes que vous évoquez, je ne sais pas si c’est véritablement conscient pour moi dans l’écriture, mais, il y a bien une forme de filiation. Il n’y a pas vraiment de rapport entre la peinture de Courbet et celle de Jean Messagier, il n’y a pas non plus vraiment de rapport entre mon écriture et celle de Matthieu Messagier, mais je sais, au plus profond de moi, même si je serais bien incapable de l’expliquer, que j’appartiens à cette famille, ou peut-être à ce qu’on pourrait appeler un terroir. Comme une sangle faite de l’écorce d’un arbre qui donne son goût à un fromage, il y a comme un goût ou une odeur commune dans toutes ces œuvres et ce goût, je le porte en moi quand j’écris, certainement. J’aime ce mot de constellation, car oui, vivants ou morts, pour moi, ils sont des astres, ils sont les étoiles qui brillent dans le ciel que je regarde, la nuit, avant d’aller dormir. Car, quel que soit l’endroit où l’on est sur la terre, c’est le même ciel et ce sont les mêmes étoiles qui nous accompagnent et nous guident.

Florence Andoka-L’art est partout, il porte votre regard, le paysage est compris dans une histoire du regard, il est comme creusé par ces œuvres, ces artistes que vous aimez. Alors, est-ce que l’on peut reprendre dans cette perspective cette phrase de Robert Filliou : « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » ?

Alexandre Rolla J’aime beaucoup cette citation de Filliou, mais je ne m’inscris pas totalement dans son sillage. Pour moi, la frontière entre l’art et la vie est beaucoup plus poreuse et floue. L’art fait partie intégrante de ma vie. Il en est un élément fondamental. Dans ces conditions, il n’y a pas de différences entre le réel et ses représentations. L’art m’aide à mieux voir et comprendre le monde dans lequel je vis, mais en retour, le monde m’aide aussi à comprendre l’art et son histoire. Je ne fais pas de distinction entre un tableau et une forêt, une photographie et une montagne, ils et elles sont des parcelles qui s’agencent les unes avec les autres pour déterminer l’espace, les espaces qui construisent nos identités. Je suis de plus en plus convaincu que les liens qui se tissent dans mon travail avec les arts plastiques en général et la peinture en particulier, ces liens se nouent bien plus dans l’écriture que dans le regard. C’est un peu comme une quête, une tentative d’appropriation. J’écris avec des mots, mais je crois qu’au fond, mon rêve secret, cela serait de peindre. Alors j’essaie de peindre avec des mots, ou plutôt, j’essaie, quand je m’attèle à l’écriture, de le faire, comme si j’étais un peintre.

Florence Andoka- « Ecrire en gris les gris de Paris. Ecrire du centre vers la périphérie et inversement, du dedans vers le dehors et du dehors vers le dedans. […] Le centre est plus fort que les êtres, il les ballotte, les fait se croiser, se voir, s’ignorer, se télescoper parfois, les recrache ensuite pour en engloutir d’autres » Il y a aussi une géographie assez singulière de vos voyages, loin des places fortes de l’art contemporain, loin d’une logique de la domination par les capitales, les villes, les centres. Est-ce la campagne qui est au centre de votre univers, parce qu’elle est toujours en bordure ?

Alexandre Rolla C’est encore plus simple que cela. La « campagne » est au centre de mon univers, car elle est mon univers. J’y ai passé mon enfance et mon adolescence. Je n’ai que peu vécu en ville comme on dit, et, à chaque fois, dans des petites villes, en province et maintenant je vis de nouveau à la périphérie, tout au bord, au bout du pays. Même si c’est toujours depuis et à partir de là que j’écris, je crois que mon regard a changé ou en tout cas évolué. Pendant longtemps, j’ai cru fermement en l’idée de défendre une position, une posture même, celle de l’artiste ou de l’écrivain de la « campagne », l’écrivain « paysan » qui se dresse fièrement face au monde centralisé, mais je suis de plus en plus persuadé aujourd’hui que cette posture égotique ne porte pas un très grand intérêt. Le fossé qui n’en finit pas de se creuser entre ces mondes m’effraie autant qu’il me fascine. Quand on voit l’histoire des gilets jaunes, par exemple, ou les élections américaines, on ne peut que constater que quelque chose a volé en éclats dans le tissu social. Il y a toujours eu une distance entre les villes et les campagnes, c’est évident, mais elle n’a jamais été aussi forte et aussi violente. À contre-jour a été écrit avant ces événements, mais le livre pointe déjà ces constats. Ces mondes semblent aujourd’hui presque totalement irréconciliables. Alors oui, c’est sûr, je vais continuer d’écrire à partir de là, à distance, pour tenter de mieux comprendre les entrelacs si complexes qui forment notre monde.

Florence Andoka-De la même manière votre écriture est multiple, poétique, critique, savante, fragmentée, avec toujours un sujet qui la porte. On a d’ailleurs l’impression que ces deux livres forment une continuité très fluide, qu’ils épousent le cours de la vie, de la réflexion et qu’il pourrait y avoir une suite. Est-ce un texte perpétuel qui connaît et connaîtra différents volumes ? Est-ce également une manière de pratiquer le journal intime ou encore l’autofiction ?

Alexandre Rolla Je ne me pose pas vraiment ces questions. J’ai conscience de jouer un peu, beaucoup, avec différents « codes » de l’écriture et j’éprouve un plaisir de plus en plus grand à en jouer, à mêler une expression tantôt poétique, tantôt littéraire, parfois critique ou documentaire, à me glisser entre les genres pour raconter des histoires qui flirtent de plus en plus avec la fiction. Alors, y-aura-t-il une suite ? Je n’en sais rien. Je suis d’accord avec l’idée qu’il y a une forme de continuité, mais je ne crois pas qu’elle relève du journal intime ou de l’autofiction, et même, si c’était le cas, au fond, cela n’a pas véritablement d’importance. Je crois, par contre, que ce qui fait ou donne l’impression de cette unité, c’est le Lieu. L’écriture est située, elle est localisée, même si les lieux ne le sont pas toujours. Elle part d’un endroit précis et les êtres qui traversent ces espaces, réels ou imaginaires, ces êtres qu’ils soient moi ou un autre, ces êtres naissent de là, ils émergent de ces endroits dans desquels s’est fixé mon regard avant et afin de pouvoir donner corps à un texte, une histoire ou une idée.

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++INFO++
Alexandre Rolla, A contre-jour, éditions La Clé à molette, 2020 14 euros

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