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EMOP 2023, au Luxembourg une édition audacieuse parce que subtilement engagée

Jojo Gronostay
Jojo Gronostay
Cette 9 ème édition biennale du Mois Européen de la photo au Luxembourg compte 28 expositions dans la capitale et à Dudelange notamment . Trois grandes institutions en sont partenaires Le Casino Centre d’art Contemporain, le Musée d’Art et d’Histoire et le MUDAM. Un autre lieu privé le cabinet Arendt et Médenach poursuit son imposante collection avec leur Award qui présente 5 candidats sélectionnés par les commissaires des autres capitales, Berlin , Bruxelles, Lisbonne, Vienne, et Paris avec Circulations qui a rejoint l’équipe après la défection de la Maison Européenne de la Photo, pourtant fondatrice de cette manifestation,Monsieur Simon Baker ayant fait son Brexit culturel. Autre lieu historique l’Abbaye de Neimenster et des galeries contemporaines complètent cette programmation dirigée par Pierre Stiwer et Paul di Felice , responsables des éditions Café Crème et de EMOP 2023 autour du thème « Rethinking Identity ».

Voir en ligne : https://www.emopluxguide.lu

Pour le privé la jeune Reuter Bausch Art Gallery montre une installation de Christian Aschman qui pose la question des statuts de la photographie, à travers le livre, les affiches qui en sont extraites, le tirage encadré pour collectionneurs… Les photographies noir et blanc mises en scène au format carré par le célèbre sud africain Roger Ballen questionnent notre humanité dans ses fondements primitifs en relation à l’animal , son univers aussi tendre que dérangeant est exposé par la galerie Valerius . Un de leurs fidèles partenaires la galerie Nosbaum et Reding accueille la française d’origine portugaise Isabelle Ferreira, dans sa sa série O Salto, ce saut dans l’inconnu des émigrés remettant leur destin à des passeurs. Comme garant du contrat une photo d’identité était déchirée en deux par le passeur, la seconde moitié était remise à la famille une fois le passage vers la France effectué. Agrandis des portraits anonymes ainsi déchirés sont transférés sur des planches de bois, retravaillées et le visage occulté par des tissus ou des interventions peintes. Elle rejoint avec cette émouvante évocation historique liée à ses origines l’esthétique si active des fictions documentaires.

Le cabinet d’architectes Arendt et Médenach accueille 5 artistes internationaux, choisis par les curateurs des 6 Capitales. L a franco-brésilienne Livia Melzi explore des rites et traditions anciens, la polonaise Karolina Wojtas monte des fictions qui montrent de façon critique et même caustique le système scolaire polonais. Ulla Deventer scénarise , le corps féminin comme instrument de pouvoir, déconstruisant les stéréotypes sur la prostitution ou dénonçant les violences sexuelles.Le prix de 6500 euros, plus production et acquisition a été remis à Jojo Gronostay (né en Allemagne avec des racines ghanéennes). Objets et images d’objets et fragments de corps sont présentés à une échelle inhabituelle mettant en lumière les interrelations entre colonialisme et capitalisme.

Trois grandes directions de recherche que l’on trouve développées dans l’ensemble sont abordées par les plus pertinents des jeunes auteurs désignés sur dossier pour les lectures de portfolio. Après une présentation publique chacun est vu individuellement par les lecteurs . Pit Reding dans une pratique performative nourrie par les questions de genre joue alternativement du kitsch et du baroque pour des installations de corps nus d’une grande prégnance. Anna Krieps mène une aventure spatiale où elle fait poser sa soeur, une vedette du cinéma internationale dans une combinaison haute en couleurs de cosmonaute. Ses décors lui sont fournis par le Musée du Selfie de Berlin qui lui permet de scénographier diverses situations que l’on retrouve dans son ouvrage Stardust . Manon Diederich nourrit ses recherches de sa formation d’anthropologue, qu’elle mène en collage une série d’oeuvres graphiques à partir d’images vernaculaires ou qu’elle développe ses rencontres avec d’autres femmes d’origine ethnique différente, en recourant à des mises en cène de leur corps au visage masqué par leur chevelure ou un ornement culturel.

Loin du simple selfie l’autoportrait à vocation curative est exploré par Cristina Nunez dans deux villes du pays sous le titre Echoes of Self 1 et 2 qui révèlent la dimension participative de ses modèles lors de workshops menés par l’artiste.

Le rapport, à la musique, à la danse et aux dimensions performatives du quotidien sont magistralement démontrées par la remarquable exposition Dancing with my camera de l’indienne Dayanita Singh investissant deux très grandes salles du MUDAM. Elle y développe son obsession de petits musées personnels et pourtant intrinsèques à sa culture à travers la mise en oeuvre de meubles en teck accueillant ses tirages noir et blanc. Une liberté de regard beaucoup plus grande est ainsi offerte au visiteur. Cette exposition itinérante co-produite avec différents Musées des partenaires européens révèle l’importance et la richesse de cette oeuvre si singulière où l’identité se construit à partir des évènements personnels comme à travers la richesse de la culture d’un pays aussi spécifique que l’Inde.

A l’intérieur de la famille des sauts de génération dans l’éducation peuvent nourrir l’imaginaire d’une artiste comme la norvégienne Katinka Goldberg qui en masquant les visages avec des ensembles de fleurs ou sa propre chevelure montre les filiations avec sa grand-mère, une de ses oeuvres fait la couverture du festival.

A la Villa Vauban, dans une salle faisant intermède aux collections historiques Katrin de Brauwer met en valeur deux ensembles de collages d’une grande simplicité visuelle, le premier sous le titre Commencer emprunté à Samuel Beckett fait référence au cinéma nouvelle vague, tandis que le second sur des bases autobiographiques montre les outrances de pouvoir d’une grand mère qui n’admet pas le sexe de sa petite fille d’où ce titre doux amer When I was a boy.

Ce sont au contraire des relations mère fille, harmonieuses et même fusionnelles que déroule l’une des deux expositions les plus réussies , parce que des plus sensibles, celle de Claire di Felice à l’Abbayes Neimenster Je suis toi, je suis moi. Divers registres de relations filiales s’appliquent à ces oeuvres. Céleste Leeuwenburg réunit photo posées et vidéo les deux sur fond blanc d’une parade burlesque mettant en perspective les rapports intra-familiaux. Utilisant un papier aussi fin que transparent éclairé par l’arrière Eman Khokhar illustre la fusion des corps des deux parentes. Krystyna Dul dans des autoportraits nues avec sa fille révèle une sensualité partagée entre la femme et l’enfant.

L’autre exposition la plus prenante est accueillie au Musée National d’Art et d’Histoire reprenant le projet générique Repenser l’identité sous titrée Je est un autre , cela se fait sous l’éclairage des études post-coloniales autant que des avancées féministes des mythologies personnelles réactivées. Plusieurs artistes africaines telles Zanele Muholy ou Lunga Ntila témoignent de la puissance imaginaire de cette scène. Frida Orupabo dans de grands collages s’approprie des corps repris d’images anciennes en y intégrant son visage, dénonçant une image dégradée de la femme via un érotisme machiste. Dans ce domaine l’installation la plus surprenante de provocation pleine de drôlerie est présentée au Casino Luxembourg dans l’exposition Bodies of Identities ! elle recompose une chambre d’adolescente dans ses liens au porno. Dita Pepe y incarne les témoignages reçus de jeunes femmes de diverses génération qu’elle interprète avec un grand sens d’une dramaturgie réaliste .

Un imposant catalogue de 126 pages au format 40x25 cm présente l’ensemble de ces propositions aussi diverses qu’engagées, regroupant diverses générations d’artistes hommes et femmes internationaux qui illustrent les mutations identitaires récentes dans des formes plastiques très élaborées.

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