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Elisabeth Lebovici et le sida, une contribution historique

Ce que le sida m’a fait Art et activisme à fin du XXe siècle

A côté de ses toujours singulières expositions que nous n’avons plus qu’un an à apprécier la Maison Rouge produit en collaboration avec JRP Ringier sa collection de livres liant écritures de l’exposition et histoire de l’art sous le titre Lectures Maison Rouge. Ce 7e ouvrage est un essai fort complet d’Elisabeth Lebovici historienne et critique d’art engagée autant dans les études de genre et l’activisme LGBT que dans l’art contemporain, activités à suivre sur son blog lebeauvice.blogspot.com.

Voir en ligne : www.jrp-ringier.com

La personnalisation du titre l’auteure la revendique comme Katy Acker pour qui « il ne s’agit pas de faire une histoire totalisante mais une histoire avec des points de vue situés, des points de vue critiques ». Ces années 1980 sont aussi celles comme elle le fait remarquer qu’apparaît ce que l’on appelle l’autofiction. Les activistes ont constaté que le sida était une épidémie sans représentation. Aux Etats-Unis notamment les mémoires minoritaires ont du mal à intégrer les récits historiques nationaux. C’est pourquoi y ont été créés de nombreux centres d’archive LGBT.

En page intérieure de couverture l’ouvrage accueille un texte manifeste d’un groupe de militantes fierce pussy qui ont créé des images, des affiches avec les moyens techniques à la portée de tous dont une en utilisant une photocopieuse de bureau : “s’il était vivant, il serait à côté de toi, si elle était vivante, tu serais en train de lui envoyer un texto, s’il était vivant, il serait en train de grisonner si il/elle étaient vivant.e je me demande quel pronom personnel il/elle utiliserait, s’il était vivant, il vivrait encore avec le sida… “

C’est aussi l’occasion de rappeler l’importance du détournement de ces machines de communication téléphone, fax, copieuses à papier thermique qui permettent une diffusion auprès des malades et des militants ou de donner à connaître les collages d’une figure de la conscience minoritaire comme Deborah Bright.

L’intérêt de cet essai est de mêler de telles initiatives militantes, des témoignages engagés et des artistes qui sont les héritiers de l’art conceptuel et de l’art appropriationniste. Il est intéressant d’y retrouver Philippe Thomas qui ne semble pas avoir un engagement idéologique mais qu’Elisabeth Lebovici rattache ainsi à cette lutte : « Je pense qu’il incarne la question : qu’est-ce que la mort de l’auteur au moment de la mort des auteurs, au moment où, de fait, les auteurs meurent du sida ? »

L es photographes très actifs en ce domaine sont prioritairement rattachés à l’école de Boston on y trouve pour les hommes David Armstrong, Jack Pierson, Phillip Lorca di Corcia et Mark Morrisroe(1959-1989). Ses photographies moins connues en France sont principalement constituées de portraits de ses amants, amis, prostituées et de ses proches. Il lui est arrivé par ailleurs d’utiliser des images extraites de films Super 8. L’ensemble de son œuvre a intégré la collection du Fotomuseum Winterthur.

Très proche de son esthétique Nan Goldin s’est fait connaître par ses diaporamas dont le célèbre Ballad of Sexual Dependancy où elle témoigne aussi de ses proches, dont la série fort émouvante consacrée à son amie la chroniqueuse Cookie Muller qu’elle accompagne jusqu’à son décès du à la maladie. Elle portraitura aussi le galeriste Gilles Dusein qui fit énormément pour la diffusion de ces œuvres dans notre pays. Une autre figure féministe importante est Zoé Leonard née en 1961. La photographe et sculptrice s’est fait remarquer à la Documenta IX en 1992. Elle remplace certaines peintures classiques de la Neue Galerie de Kassel par des photographies petit format en noir et blanc, gros plans de sexes de femmes, qui dialoguent avec des portraits classiques de femmes qu’elle a laissés.

La question plus générale du désir homosexuel est analysée dans diverses œuvres plastiques dont celles des dessins de Tom of Finland, clichés de Peter Hujar, films d’Isaac Julien ou les œuvres des plus connus Sherrie Levine et Richard Prince.

Trois expositions importantes sont ensuite analysées. Nan Goldin monte en 1989 l’une des premières intitulée “Témoins : contre notre disparition“, à l’Artists Space de New York. Elle fait l’inventaire des amis artistes malades ou morts, « désigne le trou béant qui s’agrandit dans le monde de l’art ». L’une des préfaces du catalogue, celle de David Wojnarowicz, Postcards from America : X Rays from hell fait scandale et devient l’objet d’une tentative de censure qui n’empêche pas un succès public.

Une autre exposition importante , L’hiver de l’amour au Musée d’art moderne de la ville de Paris en 1994 est organisée par l’équipe de rédaction de la revue Purple sur un concept emprunté à Felix Guattari. Elle regroupe des photos de Inez van Lamsweerde, Larry Clark et Wolfgang Tillmans. L’auteure insiste sur une installation type diorama du trio General Idea, dont deux d’entre eux sont victimes du sida, elle les représente métaphoriquement comme trois phoques sur une banquise synthétique. Elle comporte un important programme de vidéos sur des zones d’expériences sensorielles et constitue la première version « des expositions affectives » illustrant le concept de Deleuze et Guattari des percepts , « des paquets de sensations et de relations qui survivent à celui qui les éprouve. »

La troisième exposition Passage à l’acte est organisée en 1996 par la galerie Jennifer Flay avec Caroline Bourgeois. A côté des principaux représentants de l’école de Boston on trouve Catherine Opie, Georges Tony Stoll et la première présentation en France des photos de Richard Billingham.

La question de la nomination des malades organisée sous forme de célébration plastique est étudiée à travers des œuvres comme le patchwork de Kiki Smith sous forme de banderole. Dans une forme plus gigantesque cela devient le Projet des noms de Cleve James composé de panneaux votifs de tissus. Cela amène l’auteure à faire le lien avec le mode des œuvres adressées ou dédicacées à la façon du grand Cy Twombly. Cela pose aussi la question des slogans dont le plus célèbre Silence= Death ou la réappropriation du logo LOVE pour Imagevirus et les affiches AIDS de 1987-88.

Le livre ouvre une perspective sur les liens entre arts plastiques et chorégraphie autour de la personnalité d’Alain Buffard (1960-2013) qui permet d’évoquer aussi son compagnon Alain Ménil (1958-2012) philosophe ayant écrit dans l’importante revue Vacarmes. Formé en école d’art Alain Buffard a d’abord travaillé chez Anne de Villepoix où il a notamment croisé l’œuvre performative de Vito Acconci. Une autre rencontre essentielle dans son devenir de danseur et chorégraphe et celle d’Anna Halprin à qui il consacre un entretien vidéo. Il va décliner plusieurs pièces qui s’enchaînent comme Good Boy, puis Good for et Mauvais genre pour plusieurs interprètes dont la transmission sera assurée par Mathieu Doze. Le moment le plus fameux parce que le plus émouvant est celui où il se bricole des talons avec des boîtes de médicaments à l’époque où une nouvelle génération de chercheurs se consacre à la mise au point de la trithérapie.

L’intérêt de ce livre est décidément de mixer des sources d’informations différentes, de les croiser pour donner de cette maladie une image mouvante et émouvante en rappelant ses victimes célèbres ou non et ceux qui l’ont combattu dans tous les domaines de la société.

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++INFO++
"Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à fin du XXe siècle." Lectures Maison Rouge ISBN 978-3-03764-499-7

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