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Édouard Prulhière, divers paysages de l’instant.

Mural
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Dans l’exposition d’Édouard Prulhière à l’Artothèque de Vitré (jusque fin septembre 2014) sont réunies des peintures sur toile, des sérigraphies et des peintures murales réalisées in situ par l’artiste. Cet artiste qui travaille dans l’esprit de l’abstraction s’est fait connaître dans les années 90 en exposant des créations plastiques associant les techniques de peinture et celles des productions en volume (sculpture). Lors de la plupart des expositions, comme encore l’an passé celle de la Galerie Scrawitch, Paris, ses œuvres occupent les murs mais aussi certaines parties du sol et de l’espace du lieu. À Vitré, soit que l’espace ne si prêtait pas, soit que l’évolution de l’artiste le conduise vers d’autres projets, il n’y plus de toiles lacérées, de couleurs vives, repliées, rivetées sur des structures solides (bois, plastique, etc.) ou enroulées en ballots. On retrouve quelques unes des toiles parfaitement planes, rectangulaires et tendues sur des châssis, présentes dans l’exposition parisienne.

Voir en ligne : www.artotheques-adra.com/vitry.php

Pour ses créations picturales présentes à cette dernière exposition, Édouard Prulhière a presque renoncé à l’emploi des couleurs vives, choisissant de développer des harmonies de gris et de noirs. Seules les deux plus grandes sérigraphies gardent une spatialité diversifiée jouant sur des superpositions d’écrans polychromes. Les effets de profondeur multiple, associés à des formes évocatrices de la nature (feuillages, etc.) facilitent alors les entrées pour l’imaginaire des regardeurs. Dans les petites sérigraphies, en noir et blanc, on peut distinguer de fugitives images figuratives qui s’opposent aux masses sombres abstraites. Globalement cela se passe comme si l’artiste réorientait sa création. Après s’être attaché à déconstruire formellement et conceptuellement l’image traditionnelle de la peinture par de brillants gestes iconoclastes qui s’attaquaient aux structures (châssis), aux surfaces-supports (toiles), aux étendues colorées des tableaux (espaces plans), le plasticien semble maintenant entamer une phase de reconstruction de sa production personnelle.

C’est bien entendu essentiellement dans les grandes toiles que le travail de métamorphose s’opère. C’est un phénomène connu et récurrent : durant les moments de recherches novatrices les artistes limitent leurs champs d’exploration en recourant à une gamme limitée de coloris. On se souvient que dans leurs débuts les cubistes firent le choix de n’utiliser que des noirs, des gris associés avec quelques bruns et verts sombres. Pour ses œuvres récentes Édouard Prulhière a recours à tous les dégradés du noir sur les fonds blancs aussi bien pour les peintures sur toile, comme Sans titre, 2013, acrylique sur toile, 250 x 200 cm, que pour les deux grandes créations murales réalisées in situ. Il n’y a pas dans ce cas pas d’ajout de blancs ou de clairs ; toutes les gestes, les plans, les couches de matières travaillées se superposent et avancent vers le spectateur en obscurcissant le subjectile. L’œil du visiteur intéressé peut, soit se promener à sa guise dans les profondeurs réduites de ces fictions d’espace, soit se laisser embarquer dans les circonvolutions baroques inscrites par l’artiste.

Plusieurs peintures ont été réalisées sur des fonds recouverts de colorant gris métallisé. Pour marquer ce choix délibéré, le carton d’invitation de l’exposition reprend ce gris moyen réfléchissant les rayons lumineux. Le résultat est de rendre le plan de la toile intraversable : le regard ne peut plus imaginer un au delà de l’étendue de celui-ci ; tous les évènements plastiques se passent en avant du subjectile dans un espace encore moins profond. Depuis l’invention de la perspective à la Renaissance, les peintres ont apprécié de pouvoir loger leurs projections psychologiques dans les arrière-fonds des tableaux. Cette possibilité étant ici d’emblée refusée, les gestes et les emportements de matières de l’auteur s’exercent sans implications personnelles de celui-ci. Malgré leurs aspects proches des peintures expressionnistes, ces œuvres se contentent de donner à voir leur facture sans donner accès aux émotions personnelles du créateur. Cela n’empêche cependant pas les projections des regardeurs, mais dorénavant celles-ci ne regardent qu’eux. Il y a une autre conséquence de l’iridescence des gris : les brillances et les reflets poussent les visiteurs à se déplacer latéralement. On retrouve là une des caractéristiques des productions antérieures de cet artiste. Une bonne appréhension des créations en reliefs nécessitait de changer de point de vue. Elles se découvraient en tournant autour de l’objet volumique.

Les tableaux plats demandent habituellement aux spectateurs de s’arrêter et de parcourir de l’œil les linéaments principaux de l’œuvre. Pourtant les noirs et les gris métallisés avec leurs brillances et leurs reflets ne peuvent réellement être appréciés que par des déplacements du corps dans l’espace. Des mobilités latérales ainsi que les avancées et reculs sont aussi nécessaires à une bonne appréhension des larges circonvolutions constitutives des grandes peintures murales. Se découvre peut être là une des significations possibles du mystérieux titre de l’exposition PARALLAX-LIMBO / peintures. Un parallaxe est l’effet incident du changement de position de l’observateur sur l’observation de l’objet. Le mot Limbo (limbes en français) indiquerait, au figuré, un état incertain, une condition intermédiaire, un projet encore flou , une situation d’attente que nous avons cru déceler par ailleurs.

Cette peinture au caractère cosmique, s’inscrit dans un continuel « work in
progress » qui ne cherche ni à se fixer ni à se définir, bien au contraire. Par ces créations réalisées chaque fois que c’est possible directement sur les murs du lieu d’exposition, l’artiste, a entrepris de montrer la peinture en train de se faire. Sa volonté affirmée est que se rejoignent le lieu habituel de création, l’atelier, et celui de monstration, galerie ou centre d’art. Les visiteurs découvrent des moments de « peinture », un arrêt de celle-ci dans des états choisis par l’artiste. Dans ces deux créations in situ de l’Artothèque de Vitré, l’artiste donne à contempler et à apprécier une panoplie de gestes de facture avec pourtant des échappées spatiales profondes malgré la frontalité de l’ensemble. Devant le résultat, on se prend à imaginer la danse du peintre alternant les mouvements corporels amples et les arrêts soudain afin de permettre aux chiffons imbibés de marquer le support, d’empreintes plus ou moins contrastées.

À travers des œuvres diversifiées, Édouard Prulhière continue une quête personnelle. Pour lui aussi les finalités et les significations de ses travaux ne se découvrent qu’au fur et à mesure des changements. La fonction de la peinture chez lui rejoint celle que recouvrait l’écriture chez Montaigne lors que celui-ci déclarait : « Je ne peins pas l’être, je peins le passage ». Dans ce passage permanent, il n’y a plus de place pour un ego, pour une identité stable et pérenne. Pour Prulhière comme pour Montaigne il ne s’agit pas seulement d’un passage d’un âge à un autre, d’une époque à une autre, « mais de jour en jour, de minute en minute. » Et l’auteur des Essais poursuit : « Il faut accommoder mon histoire à l’heure. 
Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention. C’est un contrôle de divers et muables accidents et d’imaginations irrésolues 
et, quand il y échoit, contraires ; 
soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres circonstances et considérations. »

À travers les œuvres de cette exposition, par delà des techniques différentes et des processus poïétiques divergents, sont donnés à contempler, pour le plus grand plaisir des visiteurs, divers " paysages de l’instant."

1 À moins que le terme ne face allusion à un jeu vidéo éponyme dont le graphisme est uniquement en noir et blanc. 2 Michel de Montaigne, Essais, livre III, chapitre 2, 1588.

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