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Edouard NONO Une cosmétique exacerbée

E. Nono
E. Nono
A faire au XXI° siècle commerce d’art des seules fleurs loin de tout prétexte scientifique il faut qualités d’ironie et patience à construire un tel recueil naturaliste par delà leur évanescence ; Paul Cézanne, connaisseur en la matière, n’hésitait pas à la critiquer, dans cette comparaison : « Les fruits sont plus fidèles que les fleurs. Ils sont là comme à vous demander pardon de se décolorer. » Pour contredire la fanaison incompatible avec le !système de l’art Edouard Nono, sculpteur de formation, n’hésite pas à prendre parti pour la photographie et d’abord dans sa vocation historique.

Dans la mise à plat noir et blanc du réel la fleur a d’abord gardé l’étrangeté de ses formes transitant parfois d’un ordre naturel à l’autre, cosses , pétales ou sépales pouvant alors se lire comme ergots, griffes ou becs. Sur la surface désaturée l’enjeu est d’abord de survie formelle. Mais ces formes complexes, leur enchevêtrement invitent à relire l’histoire technique du medium.

A partir de 1853 Adolphe Braun réalisa en plus de trois cents clichés verre au collodion son Histoire naturelle des fleurs à l’usage des artistes. On écrivait à son propos dans « le Journal des Débats » : Ces charmantes victimes sont tellement bien, saisies, leurs formes si délicatement accusées et la structure de leurs organes exprimée par des finesses tellement exquises que l’on ne songe même pas à regretter la couleur absente. » Et plus tard dans le premier quart de siècle d’après, Karl Blossfeldt produit sa série Urformen der Kunst en autant de tirages au bromure d’argent. Il témoigne ainsi de l’exigence de son projet : « Il faut priser la plante comme une structure totalement artistique et architecturale. La Nature est une éducatrice à la beauté et aux sentiments intrinsèques. »

De ces illustres prédécesseurs Edouard Nono a retenu cette leçon de leurs présupposés documentaires et de leur visée esthétique. En séjour à La Réunion de 2000 à 2003 il y a collationné les images qu’il a exploité jusqu’à la fin de sa trop courte vie fin 2009. J’imagine entendre son autocritique : "Herboriser !" aurait il claironné de son ton rigolard, "enjeu de vagabond , rêverie de quidam qui soudain s’agenouille pour une cueillette". Alechinsky dédicaçait à sa façon un de ses livres infeuilletables, fait de grès, à quiconque .

Il n’y a pas non plus à feuilleter chez Nono, tout nous semble donné sur le fond très blanc dans une immédiateté de la saisie. Au premier abord rien ne fait couche (ou sens), rien ne fait souche dans le temps. Ces plantes restent sans descendance, rien en elle ne saurait faire surgeon, ni pousse ni bourgeon. Solitude dans !la froideur du cadre de l’image à combler par une petite annonce. « Fleur adulte, mâle ou femelle cherche support photographique pour affinités électives et badinages esthétiques. Produit de serre ou transgéniquement modifié s’abstenir. Partagerait aussi mur de galerie, atelier ou page d’herbier (même électronique). »

Dans l’intervalle acceptons donc que la fleur pas plus que l’individu en ces siècles vingt et vingt et un n’ait de chance d’exister comme singularité, mais dans la masse, !au mieux comme numéro de collection. Ainsi dans l’immense « Atlas » riche de 783 planches du peintre Gerhard Richter, seules celles numérotée 304 à 309 datant de 1969 et 1970, comportent chacune 16 images couleurs de fleurs. Si les nuances colorées y sont harmonisées les plans autant que les essences sont différents. Dans l’histoire de la photographie même ainsi apparentées pour devenir herbier, bouquet ou installation elles restent sujettes à la perte des couleurs et à l’appauvrissement de ses formes.

Depuis la fin du XIX°siècle, les techniques les plus inventives se sont succédées au chevet de leur agonie. Ainsi en 1870 Pietro Guidi constitue ses Botanical studies en faisant colorier manuellement dans son atelier les subtiles tirages à l’albumine.

Dans un ensemble moins connu que le reste de son œuvre Edward Steichen produit vers 1940 une série de tirages de bouquets hauts en couleurs grâce à un procédé expérimental « d’imbibition chromogène ». Et dans d’autres procédés scientifiques le docteur Albert G. Richards détourne la radiographie dans des séries florales visibles au Paul Getty Museum de Malibu. Ses derniers essais abordent la même technique en y intégrant le rendu 3D.

La logique du travail d’Edouard Nono s’est établie elle aussi dans le passage de l’unique, du singulier de la plante à un corpus qui ne soit pas seulement sériel, mais qui trouve sa raison dans une nouvelle passion de l’objet fleur et de son image. Du côté de l’unicité il avait d’abord travaillé le polaroïd, puis l’image photographique d’un détail naturel caviardé par une intervention peinte. Il y aura ensuite des images composites un peu à la façon d’Hockney mais sans la prolifération baroque du peintre anglais et toujours dans des plans et cadrages plus serrés dans une proximité plus intime. Les derniers ensembles jouent de la disparité des espèces autant que de l’unité de leur rendu esthétique hyperréaliste , quasi cosmétique.

Pourquoi donc tenir encore ce travail par son sujet du côté d’une légèreté à l’horizon décoratif ou même d’un maniérisme. Est ce qu’ainsi offertes dans leur différence chacune de ces fleurs ne nous fait-elle pas rejouer pour notre regard fasciné l’expérience troublante de la racine de l’arbre dans « La nausée » de Jean Paul Sartre. Toutes ensembles réunies elles forment une Vanité contemporaine que Pierre-Jean Jouve énonce du côté générique du floral : « La fleur est le regard riant de la ruine ».

Cette visée utilise de plus une technique actuelle comme le scanner, dans une application non pas traditionnelle pour un document mais paradoxale pour un volume aussi complexe. Edouard Nono opère ainsi un forçage du regard qui nous impose l’évidence de la chair exorbitée du réel.

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