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Denis Castellas – Nouvelles Peintures

sans titre
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huile sur toile, 2008
Denis Castellas présente à la Galerie Eric Mircher ces dernières peintures ; une fois la galerie quittée, c’est avec un demi sourire que l’on se remémore le débat éculé sur la fin de ce médium. Enfin. Comme Marc Desgrandchamps, les peintures de Denis Castellas renvoient plutôt le critique vers l’insoutenable pesanteur d’une mauvaise gangue explicative. Il faut pénétrer la peinture de l’artiste avec langueur de temps, s’imprégner de sa substance, de sa palette, suivre avec discrétion Quintilien quand il indique « aucune substance ne peut communiquer avec une autre une couleur qu’elle n’a pas elle-même », le peintre est là, à l’œuvre. Si vous écoutez avec attention l’enregistrement des variations Goldberg réalisée en 1990 par Glenn Gould, vous entendrez le pianiste chanter la partition de Bach en même temps qu’il la joue. S’il y a des puissances mythologiques, et s’il est possible de les apercevoir lors d’un songe, une nuit d’été - qu’elles m’accordent cette légèreté pour aborder l’œuvre du peintre, que le commentaire se fasse murmure.

Voir en ligne : www.mircher.com

Castellas en montrant un portrait de Shakespeare, comme il l’a fait plus tôt de Mozart, ou même un C3PO au regard aussi noir que la carapace est dorée, renvoie vers les grandes traditions de l’art pictural, le portrait, les écorchés et la peinture d’Histoire ou encore la composition du paysage. Comme toute œuvre forte et singulière, l’écologie qui les habite les relie avec vigueur.

Ecorchés

Au fond de la galerie, dans une pièce exigue noyée sous la lumière crue du néon, est donnée à voir une toile sans titre. Une boîte crânienne est représentée, en faux écorché, les globes oculaires tendus vers le ciel, les lèvres manquantes dévoilent les gencives et les dents, le nez se trouve réduit à une simple présence triangulaire, enfin un masque apparaît en lieu et place des muscles faciaux. Si ces derniers éléments renvoient à la machine, au robot représenté au sein de ce paysage, cette figure défigurée fait écho – même si l’on peut y reconnaître C3PO exposé dans la première salle- aux icônes des films d’épouvante, la face décharnée, les yeux réduits à deux billes enfoncées au fonds des cavités oculaires, l’expression déshumanisée du mort-vivant avançant au rythme saccadé de la machine. L’horreur est renforcée par ce mélange entre l’organique, les yeux, le rose bonbon des gencives et le masque-prothèse qui les relient. Cette symbiose entre l’homme et la machine constitue un des terreaux fertiles des romans de science-fiction ou des films d’anticipation. La présence d’un semblant de mécanisme au niveau du cou renforce l’idée d’instrumentalisation, les yeux seraient animés par quelques manipulations externes à ce pantin.

La présence organique sur ce visage rappelle cependant la tradition de l’écorché. Cette marionnette à la fois homme et robot -placée au centre d’un paysage composé comme une scénographie, entourée de figures fantomatiques à peine esquissées- remplie une majorité des fonctions rhétoriques réservées aux planches et dessins des traités d’écorchés, entre la forme secrète du vivant représenté et l’étude anatomique, entre le physique et la métaphysique. Cette figure, combinant C3PO et l’acteur humain actionnant les membres de sa carapace, soulève un peu le masque, celui de l’acteur, celui du peintre. L’écorché, en permettant un voyage dans l’espace de la peinture, s’allie au voyage intérieur, réflexif comme le préconise le « connais toi, toi-même » socratique. L’écorché dévoile à deux reprises, en montrant ce qui est caché, en décollant la peau, il réalise la définition kafkaïenne de la création « […] se déchirer soi même ».

Ce semblant d’écorché que nous montre Castellas se donne en miroir contemporain à la Raie [circa 1728] de Chardin. La nature morte montre le poisson suspendu à un croc dans la cuisine « Elle est ouverte et vous pouvez admirer la beauté de son architecture délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs comme la nef d’une cathédrale polychrome », la sensibilité de Marcel Proust pour le tableau de Chardin ne saurait faire oublier l’étrangeté de la composition, notamment de cette raie ouverte en son flanc et présentant, comme souvent noté à l’époque, un rictus étrangement humain. A la fois bête et homme, projections anthropomorphiques baignant toute notre culture classique, celle des Métamorphoses d’Ovide par exemple, et nos mythologies contemporaines, à la fois homme et machine.

La peinture de Denis Castellas est narration.

Le portrait de Shakespeare, la composition du tableau précédemment abordé ainsi que nombres d’autres éléments de son œuvre renvoient vers le théâtre. Ce dernier possède au moins un mot en partage avec le peintre : la représentation. Présenter à nouveau. Encore une fois, une des grands genres de l’histoire de l’art est cité, la représentation en portrait, celui des grands hommes, des rois et des mécènes. Comme le souligne Philippe Dagen – dans sa préface au catalogue des peintures récentes du peintre – la présence d’un portrait de Shakespeare et d’un robot -ambassadeur de la culture populaire- pourrait taquiner le post-modernisme. L’ère post-moderne, épisode de notre histoire tout entier contenu dans cet adjectif bien peu qualitatif, a permis le déploiement des deux pentes théoriques poppériennes -retenons ici la négative- l’accumulation de références mises côte à côte et la négation de toutes hiérarchisations des sources et des inspirations. Ce discours ne s’applique cependant pas à l’œuvre de Denis Castellas. A l’évidence notre mémoire se constitue et se nourrie tout au long de la vie ; les sources d’inspirations sont mixtes et se composent en un ensemble de strates plus ou moins riches en références. Ne sommes nous pas suffisamment adulte pour opérer nos propres classements ? Comme le dit le peintre, à la fin de cette même préface : « Donc un environnement culturel pluriel qui va de Franquin à Beuys, de George Herriman à David Hockney, de Buffet et Mathieu et Zao Wou Ki à Robert Ryman…, qui me guide sans doute parfois à utiliser les images contre les images, à tenter d’avancer sur le fil ténu d’énergies contradictoires, à flotter antre le positif et le négatif en ne cessant de flirter avec l’un ou avec l’autre. »

Il s’agit plutôt de montrer là l’écologie personnelle d’un individu, ce qui le constitue dans sa chair et ses pensées. Les références cinématographiques sont depuis longtemps intégrées à ce paysage de l’esprit. Déjà, Francis Bacon faisait référence à Luis Buñuel plus qu’à tout autre membre du mouvement surréaliste. L’arrivée de C3PO au milieu de la galerie ne pourrait être réduit à illustrer une théorie, nous préférons la raccrocher à une autre réalité, celle du récit mythologique, de la fable et du rêve.

Denis Castellas joue formellement sur des effets de transparence, de traits esquissés, de personnages et de formes évoqués par leur silhouette détourée d’une ligne noire. La peinture est par moment délavée, le pinceau dégorge, comme chez Desgranchamps, est souille d’une beauté sale le tableau. Ce geste non fini fonctionne comme l’histoire racontée, la performance toujours renouvelée du « Il était une fois… » . Cette pratique nous emporte avec elle. C’est ici où notre droide protocolaire entre dans la danse avec quelques soubresauts – macabres- de pantin désarticulé. Quand George Lucas commence l’écriture du scénario de la « Guerre des Etoiles », il confie à l’un de ses futurs biographes vouloir « essayer de retirer la quintessence des contes de fées, des mythes et de la religion, étudiant sous un angle purement formel comment et pourquoi ils fonctionnent » et durant trois ans, devant des producteurs incrédules, il défend sa thèse : « Une génération entière est en train de grandir sans conte de fée […] et les enfants ont besoin de conte de fées ». La compréhension des structures inconscientes du conte et de la fable, comme analysées par Bruno Bettleheim, a permise à George Lucas de réaliser une œuvre lyrique parlant à une génération entière et universellement. L’histoire nous est contée comme celles dites pour nous conduire aux songes…Il y a très longtemps, dans une galaxie très lointaine…

Théâtre toujours.

L’idée du grand homme, de l’homme exemplaire, celui qui mérite d’être portraituré est ici insensiblement détournée par l’artiste. Le portrait de Shakespeare, inspiré d’une des gravures la plus connue, fonctionne non sur une improbable ressemblance mais plus comme une icône de l’auteur de théâtre. Il est le raconteur d’histoire, celui qui nous entraîne dans la convention tacite entre le regardeur et l’acteur, la convention où chacun jouit d’être dupe et de se laisser prendre au jeu. Plus encore, dans ce portrait de Shakespeare, Castellas réussit par des effets de frottées, de transparences, de flou et de superposition insensiblement décalée à fondre l’auteur en son œuvre. Sont douloureusement visibles les yeux crevés du roi Lear et les lèvres gouttent d’un sombre poison, si souvent versé, dilatant les pupilles et provoquant les dernières phrases vengeresses ; une peau ectoplasmique, enfin, semble flotter dans un halo bleuté de bien mauvais augure.

Un des œuvres préférées de Castellas, « le Songe d’une nuit d’été » renvoie à ce besoin mythologique où co-existent le peuple des fées, des dieux et des mortels, où un philtre d’amour déposé sur vos paupières vous fait aimer un homme déguisé en âne. Métamorphose encore et dualité rappelée à chacun. « Sommes nous autre chose que des fables errantes dans le siècle ? Reconnaître notre humanité non pas comme un fait scientifique mais comme un récit qui doit être dit et redit, c’est déjà en percevoir l’énigme. La fiction est hélas plus souvent malade de virtualité, et le monde des images nous enivre de réalité fictionnées dans une débauche d’obscénité vécue. Cette réalité fiction est plus qu’un désenchantement. C’est une forme totalitaire qui a comme postulat de départ la médiocrité du monde et pour horizon l’à-quoi- bon. L’homme y perd son destin, ne regarde plus le ciel étoilé des métaphores. Il faudrait pleurer et grincer des dents devant cette perte de récit, devant ces formes de récits qui n’en sont pas, devant ce désert sans mythe et sans parabole.  » [Olivier Py, citation extraite de la brochure de présentation de saison 2008-2009 Théâtre de l’Odéon]

Olivier Py écrit, Denis Castellas peint et je souhaite intimement qu’ils nous représentent.

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++INFO++

Denis Castellas – Nouvelles Peintures Du 24 mai jusqu’au 31 juillet 2008 Galerie Eric Mircher 26, rue Saint Claude 75003 Paris Du mardi au samedi de 12 heures à 19 heures & sur Rdv.

www.mircher.com

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