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Choi Byung-So, le temps de quelques feuilles de papier.

sans titre stylo bille et mine de plomb sur papier journal 15 x 11,5 cm - 2016 outres Maria Lund
sans titre stylo bille et mine de plomb sur papier journal 15 x 11,5 cm - 2016 outres Maria Lund
La galerie Maria Lund, Paris, expose jusqu’au 5 novembre une série d’œuvres d’un artiste coréen de 73 ans. Les créations de Choi Byung-So sont depuis quelques années montrées hors de son pays d’origine au Japon, aux États-Unis et en France comme très récemment au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne. Dès l’entrée dans la galerie l’œil du visiteur est intrigué par ces surfaces anthracites fragiles, de taille modestes, directement accrochées aux murs de la galerie ou mises sous verre. En s’approchant on se rend compte qu’il s’agit de le papier dont la surface a été presque entièrement recouverte de tracés à la mine de plomb au point d’en faire un monochrome. Quelques lettres d’imprimerie aperçues de-ci de-là comme les mots TIME ou THE TIMES gardées en en-têtes confirment que le support d’origine est bien du papier journal. On comprend alors que celui-ci n’est pas complètement résisté aux interventions vigoureuses de l’artiste qui a d’abord biffé le texte imprimé au stylo à bille avant d’intervenir avec des milliers de trait de crayon. Le papier s’est déchiré par endroits donnant parfois l’impression d’une surface écaillée. Quelques morceaux manquent mais globalement la surface rectangulaire continue d’affirmer sa présence.

Voir en ligne : http://www.marialund.com/fr/exposit...

C’est en Corée au milieu des années 1970 que l’artiste a commencé à rayer assidument les articles de presse où il lisait des contrevérités. Cette action à caractère politique lui a ouvert la voie à une production artistique dont la plasticité originale rejoignait celle de Dansaekwa, un groupe d’artiste de Corée qui produisait une peinture monochrome. À la différence des mouvements occidentaux comme le minimalisme ou support/surface qui revendiquaient un matérialisme de l’œuvre, ce mouvement coréen insistait sur la dimension méditative du processus créatif. Il faut assurément un bonne dose d’abnégation pour travailler si longuement et si souvent sur des surfaces de faibles dimensions.

Dans toutes les œuvres de cette exposition de Choi Byung-So, on remarque une constance à traiter les surfaces des œuvres avec une volonté plastique d’atténuer toute avancée spatiale. Il y a un désir de retourner vers le chaos en effaçant toute apparition textuelle ou iconique. Le geste graphique répété s’efforce d’annuler les mots du texte du journal par des tracés au stylo à bille ou à la mine graphite. Il s’agit pour l’auteur d’engendrer un nouveau réel qui vient contredire les inscriptions initiales. Les gestes créatifs interviennent contre une forme déjà là : celle des indications textuelles présentes sur le papier. Ce plasticien expérimenté vient remplacer un espace pour lecteur par un espace pour regardeur. La vectorisation de l’espace n’est plus celle d’un texte se déroulant selon une direction établie favorable à la lecture mais celle d’un corps agissant préférant souvent l’oblique à l’orthogonalité. À la page de journal initialement orientée par les textes imprimés, le plasticien, par les gestes avec une inclinaison proche de la diagonale, substitue un autre sens de lecture. La succession des gestes scripteurs vient progressivement constituer un tissu sombre. Les traits sont si nombreux qu’ils finissent par se recouvrir, on passe progressivement du linéaire graphique à l’étendue à caractère pictural sans usage de ce médium.

La spécificité du travail de l’artiste est de faire disparaître l’action traçante dans une somme de marques ; le regardeur contemple un continuum anthracite avec de-ci de-là des arrachages accidentels. La page de texte, avec ses mots véhiculant des idées, devient un simple matériau. Le texte se fait texture. Cela ne se fait pas sans bruit et pourtant cela impose le silence aux mots du texte journalistique avant de laisser muets les regardeurs. Les tracés de Choi Byung-So sont des gestes volontaires qui s’imprègnent avec le temps de multiples incidents provoquant des effets déroutants et/ou esthétisant sur la matière fragile du papier. L’artiste prend le parti de l’inattendu. Il cultive ce qui s’écarte matériellement et conceptuellement de ce qui était là, ce qui lui était imposé. L’action n’est pas systématiquement nihiliste ; des caches provisoires permettent parfois à des indications colorées ou à des portions de lettre provenant de textes imprimés antérieurement de resurgir. Tout n’est pas recouvert, il reste quelques présences d’un avant l’action du plasticien.

Celui-ci s’absente dans ses gestes. La répétition obsessionnelle par l’artiste de la multitude de tracés de stylo bille puis de crayon graphite fini par entraîner de sa part une nécessaire inattention. Par leur quantité les traits ne sont plus scripteurs : ils deviennent effaceurs ; pourtant leur somme redonne une présence à la surface. Malgré la quantité d’œuvres réalisées par Choi Byung-So selon ce processus depuis les années 1970, l’imprévisible est toujours au bout de l’action. Aucune création n’est identique à l’autre. Le rapport entre le geste marquant et la résistance des matériaux reste inconnu. Le créateur s’en satisfait puisqu’il continue à vouloir l’involontaire.

Toutes ces œuvres sont conçues dans un excès, un excès de traits. La spécificité de l’excès est de ne pas jouer seulement contre mais avec. Ce qui est en jeu c’est la modification de l’espace plan du subjectile. Ce qui est visé c’est le remplacement de l’espace textuel qui, par delà les contraintes typographiques, cherche à imposer des idées par un espace visuel disponible pour une libre circulation silencieuse du regard.

Le geste répétitif des tracés parallèles reste en deçà de la forme, il refuse de redevenir une écriture. Cette posture en retrait permet de toucher par ailleurs à un au delà du sens. L’accession à la métamorphose viendra plus tard. L’artiste mesure la force de ses actions pour que celles-ci travaillent la surface du papier journal sans la détruire. Ici, encore plus que dans la plus part des créations plastiques, le risque d’anéantissement se trouve présent lors la genèse de l’œuvre. En fait l’artiste martyrise le support pour en éprouver la véritable solidité cachée sous une apparence fragile. Les surfaces de papier qui ont résisté aux multiples gestes graphiques vigoureux se trouvent renforcées dans leur présence sensible par cette somme de marques négatives dorénavant inscrites au plus près d’elles-mêmes.

La qualité du travail créatif de Choi Byung-So n’est pas dans la force de son geste ni dans la maitrise des outils mais dans la génération d’idées et d’émotions. Les gestes s’animent de l’intérieur pour faire advenir la création dans son étendue, prise d’espace, et dans son évènement, prise et de temps. Les mots sauvés du recouvrement, nowhere (nulle part) et Times (temps), témoignent de la conscience de l’artiste de ces enjeux. Après quelques temps d’observation attentive le spectateur réalise qu’un renversement s’est opéré, il n’est plus retenu par la force des marques mais attentif à la faiblesse du subjectile. La charge de ses sentiments s’est modifiée : l’observation émue de la capacité de résistance du papier à remplacer l’attention portée à la répétition des gestes.

En travaillant le matériau support jusqu’à y pratiquer des fentes, l’artiste va bien au delà de la recherche d’un effet matériel et visuel, il ouvre l’espace de ses œuvres aux idées et donne accès pour les regardeurs à des projections multiples.

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