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CEIJA STOJKA (1933- 2913) une artiste rom dans le siècle

À La maison rouge, une exposition du 23 février au 20 mai 2018

L’exposition monographique à Paris de 150 peintures et dessins est plus ample que celle qui a eu lieu en 2017 à Marseille à la Friche de la Belle de Mai ; elle suit le parcours biographique de Ceija Stojka. Pourchassée avec sa famille à Vienne, internée, passée par Auschwitz, Bergen-Belsen et Ravënsbruck, elle a survécu. Mais elle n’a témoigné de l’horreur des camps que sur le tard, entre 1988 et 2012, dans des livres où elle relate ses souvenirs, des poesies, des peintures et dessins.

Voir en ligne : http://www.lamaisonrouge.org

L’exposition fait entendre des chansons composées par elle et la montre dans un beau film documentaire qui rend encore plus vivante sa démarche artistique. Elle s’enracine dans son existence tourmentée et celle de sa communauté, les Roms. C’est d’ailleurs une chance qu’au même moment, au Musée d’histoire de l’Immigration, des photographies relatent en particulier le parcage des Roms et autres tsiganes dans des camps durant la Seconde Guerre mondiale. Les deux expositions se complètent, à ceci près que, la plupart du temps, les photographies sont le fait d’un regard parfois hostile et étranger à la communauté (sauf récemmment). Mais les peintures et dessins de cette exposition transcendent leur pouvoir de témoignage. Inventivité des formes, vivacité des coloris, maîtrise du noir et blanc : elles nous touchent tant parce que leur qualité plastique indéniable se met au service d’émotions dont elles réussissent à faire partager la force.

Dans la machine à exterminer d’Adolf Hitler.

Sa volonté de décrire les camps, l’épreuve vécue dans son enfance produit des images fortes : elles ont la cruauté d’un cauchemar dont le réalisme s’enracine avec précision dans la hantise de ses souvenirs. En nous faisant voir les jambes bottées des SS comme des colonnes monumentales, elle montre cette réalité littéralement à hauteur d’enfance. Barbelés, chiens féroces, neige, boue et amas de cadavres : “j’ai du mal à décrire ces choses, excusez-moi”- elle les dépeint, pourtant, de manière impressionnante. Sa peinture retrouve aussi les images d’une enfance idyllique à l’époque où sa famille était soudée, avant l’extermination de la plupart d’entre eux. Mais derrière la peinture d’une réunion de famille au printemps, autour des chevaux et de leur roulotte, elle a écrit : “Où sont leur cadavres ? Personne ne sait. Ils sont tous passés dans la machine à exterminer d’Adolf Hitler.”

Elle veut surtout témoigner de l’histoire tragique de sa communauté : “La roulotte était notre berceau, nous sommes des roms (appelés tsiganes)”

Retour à la vie

Ceija Stojka a retrouvé sa vitalité au sortir de l’épreuve et fondé une famille. Le soir de l’exposition, on vit arriver à La maison rouge des membres de sa famille, belles femmes aux cheveux longs vêtues de manteaux de fourrures et hommes élégants et chapeautés, tous heureux de sa consécration. Cependant, au delà du témoignage historique communautaire, on est transporté par la qualité de sa quête artistique. Le style de sa peinture est sans doute naïf ou, quand le sujet l’impose, violemment expressionniste, alors que les dessins, plus grinçants et caricaturaux, se mêlent souvent à des écrits. Laisser une trace, lutter contre l’oubli en peignant ou écrivant est le motif premier de l’oeuvre.

Ceija Stojka divisait ses peintures en “sombres” : celles qui montrent la vie dans les camps, les plus nombreuses, et “claires” celles où des fleurs s’épanouissent et où la vie se déroule harmonieusement. Le retour à la vie lui a permis d’affronter a posteriori ces moments douloureux pour en rendre compte. “Les rêves ne nous lâchent pas, nous les victimes”.

Symbole récurrent de cette emprise obsédante dans de nombreux tableaux, les corbeaux ou les corneilles dont la noirceur zèbrent le ciel évoquent les oiseaux du tableau La Guerre (1894) peint par le douanier Rousseau. Signes de mort sinistres dans l’oeuvre intitulée Cadavres, où l’on voit une nuée d’oiseaux noirs se mélanger à des croix gammées, mais aussi compagnons de l’enfant dans les camps, les corbeaux peuvent être des signes de vie et de mort : on croit qu’ils peuvent communiquer avec les morts et leur porter des messages. C’est le rôle de ces peintures : être des offrandes aux disparus et les messages des sans-voix.

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++INFO++

A lire absolument

"Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes", éditions Bruno Doucey ; "Nous vivons cachés" et "Le rêve que je vis", éditions Isabelle Sauvage. Le catalogue comporte de nombreux textes de l’auteur.

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